Échos, Emmanuelle Corne & Laurent Herrou

De février 2006 à l’été 2010, l’écrivain Laurent Herrou a alimenté au quotidien un blog intitulé « L’emploi du temps » aux côtés du photographe Jeanpierre Paringaux, qui était alors son compagnon. Le blog a été remarqué à diverses occasions, certaines de ses entrées donnant lieu à des publications, notamment dans la revue belge Pylône et chez Publie.net (« L’emploi du temps à New York), ou à des expositions (« Les objets de l’intime » au Garage 103, à Nice, en mars 2007, à lire sur le blog). Le point final de cette collaboration a été formellement matérialisé le 15 août 2010 (« la mise au point », à lire sur le blog) lorsque le couple s’est séparé.

Plus de dix ans après, « L’emploi du temps » a entamé une deuxième saison : la photographe Emmanuelle Corne et l’écrivain produisent ensemble une « série augmentée » pour ainsi dire, où source (l’écrit) et écho (l’image) conversent — au propre comme au figuré, le point de départ de cette construction bicéphale résidant en effet dans les entretiens que les artistes mènent à partir du journal de l’écrivain et d’une interrogation de la photographe. « Tout ce qui se relève et qui s’élève de la personne unique c’est-à-dire : ce qui fait sens ou défaut de sens pour le collectif dans le journal m’intéresse », explique Emmanuelle Corne. « Ma proposition sera donc de faire écho, miroir, résonance, lueur, etc. à un mot choisi à chaque lecture en cherchant dans le vivier sociétal et évocateur. »

Échos, titre de cette nouvelle série, (à la fois hommage au temps passé et écoute du temps présent) s’attache, sur un rythme mensuel, à offrir à ses lecteurs / spectateurs / auditeurs un dispositif artistique inédit, allant de l’intime au sociétal. Le projet proposera sa cinquième entrée à la fin du mois de juin : l’année, riche en événements, déploie à la fois le caractère intime du journal et la nécessité de faire « écho » (encore une fois) à la conjoncture. Que ce soit à propos des élections présidentielles en France, de la guerre en Ukraine ou du retour des conservateurs américains sur le droit à l’avortement, le travail très autocentré de Laurent Herrou cherche cependant à s’extirper d’une gangue qui l’emprisonne depuis longtemps et se matérialise dans une lutte incessante entre un « je » rare et un « tu » invasif, qui s’impose et étouffe (au sens propre comme au figuré) l’auteur.

« Le tu t’emmerde.
Il dit que les phrases sont à destinée du projet, et tu comprends aujourd’hui qu’en effet, le projet conditionne ta manière d’écrire : tu écris, tu n’écris pas — vous voyez la différence ?
Tu.
Qui n’est pas un jeu. »
(extrait, 28 avril 2022)

Face à cette dichotomie douloureuse, la photographe se pose, lecture après lecture (qu’elle s’y prête elle-même justement, lors d’enregistrements, ou y dévoile en bonus de l’entrée proposée les conversations qui ont résulté de ces lectures), ou mieux : choisit-elle de poser sa caméra en miroir d’un mot qu’elle en aura dégagé. Que le mot existe au cœur du texte ou ne soit que l’interprétation qu’Emmanuelle Corne donne du texte de Laurent Herrou importe peu : l’essentiel étant, alors que le mois s’écoule à l’intérieur de son sablier inexorable, d’être en mesure de livrer en dernière semaine « la matière » de son interprétation, soit une photographie « unique » (on verra au fil des mois que le terme est lui aussi soumis à interprétations de la part de la photographe).

On peut suivre le résultat de cette association sur le site de Public Averti, collectif d’artistes, créé par Laurent Herrou et Pauline Sauveur (architecte, autrice et photographe), qui avait accueilli précédemment Emmanuelle Corne, lors de la première édition de « Une exposition », à l’automne 2018.

Emmanuelle Corne

« De formation initiale en anthropologie, j’ai été 20 ans libraire et directrice d’une maison d’édition en sciences humaines et sociales. Il y a 6 ans maintenant, j’ai choisi de me rapprocher des gens, de nos sociétés et de ses interactions avec nos environnements. La photographie est apparue comme le moyen de raconter des histoires.
J’ai choisi une formation en photojournalisme pour enclencher un regard photographique, apprendre à définir un angle et organiser une narration. Le thème de l’année (refuge) a suscité des sujets autour des femmes : militantes, engagées, résistantes, résilientes, actives, radicales, solidaires. J’en ai développé d’autres liés à la lutte contre les exclusions sociales, aux "invisibles", à celles qui cumulent les discriminations.
Participer aux projets du collectif Public Averti m’encourage à sortir de mes formats et à explorer des voies plus artistiques et des dispositifs sensibles. Je m’en trouve dynamisée.
Par ailleurs, je m’intéresse au son et au format du diaporama-sonore.
Je travaille avec un 35 mm et en couleur. »

E.C., février 2022.

Laurent Herrou

Né à Quimper en 1967, Laurent Herrou a été révélé en 2000 dans la collection Le Rayon, dirigée par Guillaume Dustan aux éditions Balland, avec un premier livre intitulé Laura.
Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, reconnu dans le domaine de l’autofiction, son travail interroge tout autant le quotidien que le geste d’écrire lui-même, ses rites, sa nécessité, son impératif.
Il vit aujourd’hui sur l’île d’Oléron, avec son époux.

24 juillet 2022
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