Hommage à Caroline Sagot Duvauroux
En 2012, dans un entretien qu’on lira ici, Caroline Sagot Duvauroux disait : "La peau est fine, infiniment fine. En-dessous, il y a l’onde, c’est-à-dire rien, rien que ta respiration et l’onde qui revient. Le poème n’est peut-être que dans cet effacement qui remue. La revanche d’une émotion. Une menace à la force qui ne s’éteindra pas. Comme une force inaliénable de la faiblesse."
Si la respiration s’est tue, le poème qui en portait témoignage demeure, et nous engage.
Inconsolé d’amour, fabriquer le bateau. Une ponctuation ? oui, non, si, pourquoi pas, elle burine au mot coi. Très loin, le hennissement, très près le frottement d’une aile sur la densité du vent. On désamarre le silence. On soigne on joue on pense.
Garder ses monstruosités comme outils. Chien puis nabot, composer. S’il vient un peu d’homme, se méfier mais garder. Écrire dans les églises. Chanter pour les requins les ânes les marteaux les crapauds les effraies les poulpes les cochons. Écrire d’eux. Pour vous. Écrire d’algue et de forêt, écrire rivière ou gour sous la croûte, sur le désert et l’alpe. Écrire termite abeille et alvéole et ruche. Oui trou de termite et gour à plongeon d’aigle ET plongeon d’aigle. Halé comme vautour écrire vent. Puis grain.
C’est pourquoi on se tait.
Caroline Sagot Duvauroux, Le livre d’El d’où, José Corti, 2012, p. 133-134.
C’est comme l’orage, le poème et l’attendre. A ne savoir si vent violent, figue, torrent d’éclairs et de larmes ou serpent mordant. Un chant obscur préoccupe la fraîcheur. Un bout d’obscur brille dans son inquiétude à lui pendant qu’on cherche la clarté. On regarde mais on ne voit pas. On s’ennuie infiniment parmi les choses immobiles et les insectes coincés entre les masses lourdes. On regarde loin longtemps. Un peu plus loin qu’on peut. Où ? Ce n’est pas vivre, il n’y a pas d’expérience. Cela étonne de ne rien expérimenter. On observe c’est tout. L’expérience est impossible parce qu’on ne sait pas ce qu’on attend et que la viscosité du sang s’est épaissie. On nomme ça poème. On vérifie des calculs. Ils sont justes donc ce n’est pas une erreur c’est autre chose. Autre chose est.
Caroline Sagot Duvauroux, Vol-ce-l’est, José Corti, 2004, p. 59.
Faut-il refaire ces choses où je fus malhabile ?
La mort ? je ne sais pas
Apprends-moi ce que je sais
pour que je reconnaisse
Où es-tu ? je ne peux me souvenir
Quelle contingence avec demain ?
Indigne de contingence ?
Dès aujourd’hui mais
demain ? qu’est-ce dire ?
Qui suis-je ? est-ce ? et pour qui sont ?
Rêvais-tu ?
Je n’étais pas là
Rêvais-tu pour carner le dogme
J’faut
sans la violence
Faudrait
mais sans la violence
Et dire encore merci ?
Tu ne seras pas là quand je n’étais pas là
Je ? Là ? qu’est-ce ?
Nous n’étions qu’ici
Qui dans le feu tord une aurore ?
pour légender l’instant d’un incipit
au point du jour
Avant l’erreur point de jour au rideau
Caroline Sagot Duvauroux, ‘j, éditions Unes, 2015, p.47.
Caroline Sagot Duvauroux aux éditions Corti et aux éditions Unes.
Dans le dossier qui lui est consacré sur remue.net, on trouvera des textes, des conversations, des lectures, des rencontres, et sa voix, dont celles et ceux qui ont eu la joie de l’entendre savent à quel point elle était unique.