L’abeille
L’abeille par Charlotte Heyner.
Atelier d’Isabelle Sorente à la Maison des étudiants de la Francophonie.
Les corolles des pavots forment de grands parasols bigarrés sur le bleu du ciel d’été et elle se faufile en dessous, entre les tiges, slalome entre ombre et soleil, ombre, soleil. Une alternance continue de lumière qui ponctue sa promenade rayée. Elle ne suit pas de ligne droite, pas de chemin défini, se laisse guider par les odeurs sucrées. Plonge parfois dans le cœur jaune d’une fleur et ressort la tête couverte de pollen. Une seconde pour secouer ses antennes, et de nouveau, elle s’élève dans les airs et vagabonde plus loin, pour butiner de petites fleurs blanches qui se transformeront bientôt en fruits ou pour se réfugier dans les pétales d’une rose aux teintes orangées. Ses ailes transparentes vibrent et son bourdonnement accompagne sa danse dans le soleil de midi.
L’abeille suit les couleurs vives, se fait chasseuse de nuances et choisit toujours ses préférées. Souvent, elle pose ses rayures sur le rouge des coquelicots. Parfois, elle découvre la perle rare, une tache de bleu. Elle ne sait pas résister à la teinte des myosotis. Il y en a là-bas, un peu plus loin. Elle les a remarqués.
Soudain, une patte brune fend la tranquillité de l’air et vient perturber le vol de l’abeille, donne à son chemin le tumulte des eaux du torrent fou qui dévale la montagne. Sa danse se fait chaos, elle tente d’éviter l’attaque mais la patte revient à l’assaut. L’insecte fond vers le sol, remonte dans les airs en mouvements erratiques ; un nouveau coup l’attrape et la précipite contre une pierre dure et lisse qui n’a rien de la soie des pétales qu’elle sait reconnaitre à leur parfum. La patte revient la malmener et l’abeille pique, laisse un dard fin en ultime cadeau. Son adversaire miaule, indigné, et frappe une dernière fois avant de s’éloigner en quête d’une autre distraction. Les ailes bariolées d’un papillon déjà, ont attiré ses yeux ailleurs.
D’autres yeux se précipitent et s’accroupissent près de l’abeille pour regarder ses ailes qui, faiblement, battent encore, ses pattes fines qui bougent à peine — ou peut-être n’est-ce que la brise qui les agite — l’abdomen soyeux et les fines rayures jaunes. L’abeille est trop petite pour que l’enfant puisse voir ses yeux se fermer et son corps se relâcher avec son dernier souffle. Elle n’a rien des grandes morts tragiques que montrent les documentaires animaliers en étirant le temps pour faire durer le suspense. Une minute passe, le soleil brille toujours aussi fort et comme le chat, l’enfant oublie l’abeille.