La fausse interview de Zoé Besmond de Senneville
Au deuxième atelier créatif, j’avais demandé aux participantes de venir avec "une carte blanche" qui présentait l’artiste qu’elles étaient.
Considérant que ma présence à la librairie Zeugma cette année est déjà une forme de carte blanche pour moi, je n’étais pas sûre de leur présenter quelque chose, mais j’ai finalement écrit une fausse interview de moi-même, très inspirée par la démarche de la maison d’édition Monstrograph.
J’ai commencé ma carte blanche par un aveu : je m’interviewe très fréquemment dans ma tête, ou m’imagine que je suis interviewée par quelqu’un à propos de ce que je suis en train de réaliser.
Ces interviews imaginaires m’aident à articuler mes projets, pensées, symboles, rencontres, et me font rêver.
Puis je leur ai lu le texte suivant :
Est-ce que tu peux te présenter ?
Je m’appelle Zoé Besmond de Senneville j’ai 35 ans je dis que je suis actrice autrice modèle d’art et artiste mais c’est très long tout ça et aujourd’hui j’aimerais me définir comme poème.
Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
Le récit, la mise en mot, la tentative de synthèse, d’identifier ce que j’ai absolument besoin d’exprimer mais aussi le vertige le trouble la présence à moi-même, la récupération des différentes parties de mon corps, le temps qui passe et aussi je crois à accepter plusieurs formes d’ennui.
Je suis très intéressée par des formes de récits documentaires c’est-à-dire d’observation de reconnaissance de la vie, de la nature, de ce qui me traverse. J’aime découvrir ce que c’est tout cela : la vie qui traverse le corps. Être incarné, être soi. La vie sa magie, ses symboles, enfin beaucoup la vie.
Comment définirais-tu l’artiste que tu es ?
Je dirais que ça a été tout un trajet et aussi un grand désir. Un grand appétit, peut-être même une passion, un engouement pour la créativité. Et au début de mon parcours d’actrice, qui n’était pas un domaine assez créatif pour moi, c’était une mise à l’écart mais aussi peut-être un sas, une école. J’ai beaucoup entendu cela au début de mon parcours : artiste, poésie, mais à ce moment-là je ne produisais rien. Rien qui émanait de moi, rien d’autre qu’incarner des personnages, apprendre à le faire, ce truc-là, de l’incarnation, apprendre des textes, les mâcher, travailler ma voix.
Et, en regardant mon parcours, je suis assez fascinée par la justesse des étapes, en tous les cas ce qu’elles m’ont apporté et ce qu’elles ont pu nourrir, bâtir, permettre. Et être actrice, apprendre à l’être, ce que j’ai cherché dans cet apprentissage-là. J’ai trouvé cela tellement riche, d’apprendre à incarner, reconnaître, connecter avec mon corps sa parole qui incarne la parole d’un autre, la rencontre entre mon écriture c’est-à-dire ma vie et mon corps à moi, et celle d’un auteur et d’un personnage. Et d’être présente à tout cela et puis la scène, le public, donner, raconter le récit. Qu’est-ce que cela fait quand je raconte quand je dis. Ce que cela fait chez moi, chez l’autre, le potentiel de tout cela, la vibration de la voix mais pas seulement. La vibration de ce que je suis allée chercher pour raconter cela, ce que j’ai traversé. Et le potentiel que ce récit a parce qu’il permettrait d’autres traversées, l’ouverture de choses même petites chez le spectateur, l’ouverture des yeux, de petits morceaux de cœur, de permettre que son corps, sa façon de percevoir je ne sais pas – les couleurs puisse se déplacer d’un millimètre.
Et tout cela je le travaille, je le cherche encore aujourd’hui, même si je ne suis plus (seulement) actrice, et peut-être encore plus que quand j’étais actrice parce que justement je peux le faire avec ma langue, mon travail, en diriger les opérations et donc mettre tout en œuvre pour que ce en quoi je crois, ce que je cherche puisse se manifester ou bien me mettre entièrement et sans concession au service de cette recherche-là.
Et je ne dis pas que ça réussit tout le temps. Enfin c’est ce que je cherche je crois. Et l’écrire, là, le dire. C’est pour ça que j’adore les interviews et que je ne suis pas gênée dans le fait de répéter parce que je ne répète pas la même chose. J’affine. J’avance dans la conscience de ce que je cherche dans le processus. J’apprends à dire, à identifier, à articuler.
Et c’est comme si je pouvais voir la structure de ma maison, et je crois que cela m’aide.
– Qu’est-ce que je veux qu’elle soit, cette maison
– elle est encore en chantier
– elle est chauffée comme il faut ?
– qu’est-ce que je consolide
et qu’est-ce que j’en fais ?
– comment mon travail est cohérent avec mon honnêteté, ma démarche, l’histoire dans ma tête, ce que je me raconte, le tapis sous mes pieds et par exemple, ce livre que j’écris, à quel point il parvient à épouser cette démarche page après page. Ou pas. BREF.
Est-ce que tu peux nous parler des étapes dans ce chemin créatif ?
Oui il y a eu des étapes et des éléments fondateurs.
Je pense déjà en premier lieu à ma mère. Sa créativité. La diffusion de son travail comme quelque chose de continu, inarrêtable, et qui envahissait tout. Enfant j’étais habillée par ses vêtements et ses créations, tissus, tapis, linge de maison, vaisselle, étaient partout. On me demandait (et on me demande encore) :
– et ça, c’est ta mère ?
– oui (et j’ai fini par pincer mes joues et répondre : et ça aussi)
Et puis dans sa démarche ce qui m’a touchée c’est le fait que ça passait à l’extérieur d’elle et que ça n’engageait pas assez profondément son corps à mon goût, qu’il n’était pas assez engagé dans sa création et moi très jeune dans cette observation-là et avec une maturité de conscience un peu étonnante, je me suis dit que je serais actrice pour engager mon corps le travailler l’impliquer dans mon travail. Plus. Plus fort.
Et donc après actrice et travail sur le corps et le clown et plein de façons de travailler ma présence ma parole ma voix et de ne pas m’engager dans un travail personnel (d’écriture, plastique, de performance, etc.) – j’ai beaucoup repoussé ce moment-là.
Grand syndrome de l’imposteur
Le travail sur la présence
L’incarnation, le silence en moi
Un des trucs vraiment importants dans la « naissance » de ma « langue », mon travail d’écriture, quelque chose qui s’est transformé et ouvert, a été l’apprentissage de l’anglais à la fac à Paris 3 puis à l’Université du Connecticut, et la rencontre avec la littérature anglaise et américaine et de devoir, pouvoir écrire en anglais. Ce que cette langue ouvrait en moi (quelque chose de plus viscéral, de plus bas dans le corps) qui était aussi une permission, une possibilité de me réinventer. J’ai vraiment commencé à écrire, là-bas.
J’ai vécu un an et demi aux Etats-Unis.
La dernière grande étape identifiée tout du moins, c’est celle de la surdité. J’en ai déjà beaucoup parlé et je me demande parfois si le sujet ne s’est pas vidé.
Ou bien je ne le connais pas encore et il me reste plein de découvertes à faire.
En bref,
parce que c’est encore difficile de faire des phrases à ce sujet parfois, cela prend beaucoup d’énergie, j’aime aussi beaucoup lister les choses.
Moins entendre :
– je sens plus et mes sens sont déplacés
– je découvre un vrai besoin de raconter la surdité. Le récit de tout : la découverte, les chocs, les nouveaux repères, les prothèses, le monde médical…
– je ne peux plus être autant au service du travail des autres. Je n’ai donc d’autre choix que d’être au service mon propre travail
– j’ai beaucoup plus de temps car ma vie sociale est quand même… différente, il y en a moins. Je passe plus de temps seule dans le calme pour reposer mes oreilles
Je travaille beaucoup moins comme actrice
Je dois m’occuper je m’ennuie très vite, je suis hyperactive
Il y a aussi poser qui a été un mouvement étonnant conjoint, frère de celui de la surdité. C’est celui que j’explore aujourd’hui par l’écriture. Quelque chose d’un peu éprouvant. Pas exactement le bon recul pour en parler de façon lucide aujourd’hui mais oui il est fondateur.