Les plus vives impressions
Comme il est difficile de s’exprimer sur un ouvrage qui nous a secrètement bouleversés, perturbés, et finalement portés si loin de nous-mêmes… Il est si long d’extraire du champ des émotions les mots qui leur donneraient sens, qui permettraient de rentrer dans le corps du livre, ses messages fondamentaux, le maelström des émotions. Alors les élèves sont passés par une forme toute traditionnelle, un article déguisé en frêle dissertation, pour faire remonter ce qui a fonctionné en eux, ce qui a commencé à marcher, rentrer en action. Ces quelques voix témoignent de leurs réflexions après la lecture du roman de Shumona Sinha, Le Testament russe (2020).
Julie B : Le roman Le Testament russe écrit par Shumona Sinha en 2020 retrace l’histoire d’une jeune fille indienne se nommant Tania. Dans ce pays, où la place de la femme est très peu importante, en particulier à cette époque, elle tente tant bien que mal d’écrire sa propre histoire au risque de s’éloigner de l’avenir qu’attendait la société de sa part. De surcroît, sa relation très mauvaise avec ses parents influence beaucoup sa vie. Cependant, Tania aime s’évader dans la lecture et est curieuse et cherche à comprendre la vie qu’a vécue un éditeur russe des années auparavant. Ainsi, de quelle manière se transmet l’idée d’un testament et d’une transmission dans ce roman ? Si l’idée d’un testament se présente dès le titre, elle devient aussi très vite évidente au début de l’œuvre. En effet, Tania transmet son histoire peu commune car elle tente de sortir de ce que les gens attendent d’elle. Ainsi, elle montre que malgré les difficultés, les filles n’ayant pas beaucoup de possibilités d’avenir peuvent tout de même essayer de sortir des préjugés auxquels elles font face à chaque instant de leur vie. Elle laisse une sorte de testament derrière elle pour faire comprendre aux femmes notamment, que leur avenir est entre leurs mains et qu’elles peuvent essayer de sortir des normes attendues – voire imposées – par la société et personne ne peut décider de leur avenir, à part elles. De plus, cette jeune fille s’intéresse au passé de cet éditeur qui vivait en Russie, en prenant contact avec sa fille pour comprendre comment ses éditions ont pu fermer et ce qu’il a vécu durant les années du régime totalitaire russe vers 1925. Elle essaye surtout de transmettre l’amour que cet homme avait pour les livres, qui les rapproche tous deux au fond, pour faire en sorte que son travail et sa passion perdurent à travers le temps… bien que son nom ait été oublié. Ainsi, ce roman est une sorte de transmission de la lecture, qui montre aux personnages que les livres que nous lisons peuvent influencer notre destin, comme celui de Tania qui laisse aux lecteurs d’aujourd’hui une sorte de testament, pour nous faire comprendre que nous sommes les seuls maîtres de notre avenir.
Alicia L. : Tania et Adel sont des écrivains qui ignorent leurs dons. Au cours du roman, ces deux femmes expliquent leur vie passée de nos jours. On peut même dire qu’elles proposent une autobiographie (l’écriture de soi-même) auto=soi-même graphie=écriture. Elle met en avant la façon dont elles ont vécu ainsi en parlant avec des figures de style de façon poétique comme les écrivains. De plus elles inventent et racontent leurs histoires, elles sont passionnées de poésie ou de lecture. L’écrivaine au fond d’elles a besoin de s’exprimer afin d’être soulagée de souffrances qui leur font écho. Tania est une personne rêveuse car elle se réfugie dans la littérature russe « rien n’était pluriel que les livres » (p. 28) qui est son échappatoire face à sa vie toxique. Adel est une personne nostalgique et irritée car sa vie passée l’a rongée et elle a été destructrice puisque la lettre de Tania remémorait des souvenirs enfouis en elle depuis bien longtemps « j’ai abandonné depuis un demi-siècle et n’importe qui dans mon entourage serait outré de me voir manier ses mots banni » (p. 82).
Mais dans quelle mesure cette scène de désir et de répulsion révèle-t-elle la force de Tania ? Nous allons étudier la page 66 du Testament russe. Dès les premiers mots de l’auteur, nous observons un lien fort entre ces deux êtres « il continua à l’embrasser passionnément ». L’adverbe « passionnément » nous renseigne sur l’intensité de cette passion. On comprend alors que ce dernier provoque une attraction. De plus cette union ne cesse de croître « à la serrer, puis la relâcher ». On relève un oxymore qui oppose « serrer » à « relâcher ». Nous assistons alors à un jeu entre eux. Ainsi, nous pouvons constater que le jeune homme porte un fort intérêt à Tania « sans la quitter des yeux » tel un protecteur. On note le participe « se retirant » qui crée une pause temporelle, l’action est ancrée dans un temps indéfini qui ne progresse plus. Cette échappée dans le désir est provoquée par les sensations. L’auteur met en avant le champ lexical du toucher à travers les termes « enlacés », « s’embrasser », « se caresser ». En outre, nous surprenons une anaphore du verbe « embrasser ». En plus on perçoit la préférence d’une folie qui remplit Jeet : « Jeet l’attira par la taille avant de se presser furtivement contre elle ». L’action ne cesse de se renforcer avec cette action de premier plan du passé simple. « Ils continuèrent de s’embrasser et de se caresser ». En présentant ainsi Jeet et Tania, Shumona Sinha entend nous transmettre cette relation fusionnelle et mouvementée. On constate un puissant désir. Mais au-delà du désir, se dresse soudain un sentiment de dégoût. L’auteur marque les avances de Tania « Tania attrapa son col de chemise sans vraiment ce qu’elle faisait » on souligne le verbe attraper au passé simple, avec la valeur du premier plan. Cependant ses avances provoquent un mécontentement chez Jeet « Jeet eut un frisson de répulsion » . Ce dernier a l’air d’être pris de colère, de mépris « sa déception l’emplissait de colère », on constate un état d’agressivité. Ainsi, son expression en est la preuve « son regard était froid, son visage rigide ». On comprend que Jeet essaye d’instaurer une distance avec son regard expressif. Il dévoile un total désintérêt envers Tania car elle a voulu faire le premier pas vers lui alors que l’homme doit avoir l’ascendant dans cette communication physique « ce n’était pas à Tania à s’offrir mais à lui de l’expression », « elle n’avait plus aucune valeur pour lui ». On peut souligner des expressions qui font écho à la répulsion comme « n’avait plus envie d’être aimée pour lui », « n’éprouvait aucun désir d’être réhabilitée à ses yeux ». On ressent que le rapport homme/femme est très archaïque puisque Jeet veut dominer leur relation. Mais Tania sort victorieuse de ce refus car elle découvre que ce genre d’homme (dominateur, refusant l’initiative des femmes) ne l’intéresse pas. Sa raison l’emporte sur ses pulsions : elle devient une héroïne réfléchie, qui ne se laisse pas submerger par l’autorité d’un homme.
Maryam Cissoko : Dans quelles mesures la censure s’exprime-t-elle dans ce roman ? La censure peut s’exprimer de plusieurs manières. Tout d’abord, des livres présentant des idéologies contraires à celles d’un gouvernement peuvent être brûlés, c’est le cas dans ce roman car la mère de Tania brûle son journal qui représente ses idéologies. La censure s’exprime aussi avec l’interdiction de la publication de certains livres comme nous l’avons vu dans Matin brun. La censure agit sur le gouvernement de la même manière que la propagande car des livres mettant en avant l’incompétence ou la fermeture d’esprit d’un gouvernement peuvent être supprimés comme nous pouvons le voir dans certaines dictatures : la Russie, la Chine ou encore la Corée du Nord qui sont encore des dictatures à l’heure actuelle. Le moment que j’ai le plus aimé dans ce roman, c’est lorsque Tania réconfortait son amie car j’ai pu ressentir leur complicité au moment de ma lecture. J’ai aussi été choquée de voir la fermeture d’esprit des personnes les entourant. Le personnage que j’ai le moins aimé dans ce roman est Mira car j’ai eu l’impression tout au long de ma lecture qu’elle était insensible à l’égard de sa fille. Je n’ai pas non plus aimé le personnage de Prakash car il était inactif face aux abominations que Mira faisait endurer à sa fille, j’ai aussi été choquée de voir que Mira n’a pas été là au moment où Tania avait le plus besoin d’elle, c’est-à-dire lorsqu’elle avait ses règles, au contraire elle l’a insultée : « Mais quelle petite pute » (p. 46).
Mélissa Luccin : Les moments où je me suis sentie la plus proche de Tania ont été lorsqu’elle s’est fait frapper par sa mère. En effet, lors de ces moments-là Tania est assez jeune, ce qui nous permet facilement de nous rapprocher d’elle, surtout lorsqu’elle subit toute cette violence venant de sa mère. Sa mère l’a insultée mais aussi frappée. Ici on insiste beaucoup sur la jeunesse de Tania : « pour fêter ses treize ans » ; « depuis qu’elle était petite ». Cela accentue le fait que Tania se fait frapper dès son plus jeune âge et me rapproche de Tania qui est une lectrice adolescente. Par ailleurs, la passion de Tania pour la littérature me fait un point commun avec l’héroïne, ainsi cela nous rapproche car cette passion se perd de génération en génération. On note un fond d’écrivaine en Tania et en Adel. En effet, ces deux femmes vont se réfugier dans l’écriture pour ainsi s’exprimer. De plus, on remarque dans la lettre d’Adel l’utilisation du pronom personnel « je », ce qui peut nous faire penser à une autobiographie. Par ailleurs, on remarque le vocabulaire enrichi de Tania même si elle est aussi jeune que nous ! Ce roman nous donne envie de l’imiter : lire toute la journée, rêver, raconter les histoires du roman (qu’on réinvente en racontant) devant nos camarades, en plein cours…