MAN-chronique n°3
Ça s’appelle le passé
Le 9 octobre, je rencontre au musée Laurent Olivier, conservateur en charge de la Gaule celtique. Il me reçoit dans son bureau, juste à côté des salles qui présentent les collections de cette période. Dans le vestibule qui précède son bureau, un grand portrait photographique m’accueille : c’est celui d’un guerrier gaulois, dont la physionomie a été reconstituée à partir de son squelette issu d’une sépulture découverte dans la Marne. Les techniques de pointe des spécialistes de la « reconstruction faciale », sorte de médecins légistes des ossements anciens et re-créateurs de visages, permettent aujourd’hui de modéliser en 3D une apparence physique très proche de ce qu’elle fut. Voici donc à quoi devait ressembler un guerrier gaulois du Ve siècle avant notre ère, avec ou sans moustaches (on peut grâce à l’ADN reconstituer la couleur des cheveux et des yeux, mais impossible de connaître les usages en matière de chevelure, de barbe, de parures corporelles).
Lorsque je lui demande sur quoi il travaille, Laurent Olivier a cette phrase merveilleuse : « Ça s’appelle le passé. » L’époque ? C’est l’âge du fer, soit le dernier millénaire avant notre ère. Être archéologue, selon Laurent Olivier, c’est penser la mémoire. Comment le passé se manifeste-t-il encore aujourd’hui, comment se perpétue-t-il dans le présent ?
Le présent, n’est-ce pas la réunion de toutes les époques du passé ? « Le lieu du passé, dit Laurent Olivier, c’est le présent. » Énoncée sans détour, la maxime ressemble à une provocation, mais à y réfléchir, cela devient une évidence.
« Freud, ajoute-t-il, parle de ça dans tous ses ouvrages. »
Laurent Olivier m’apprend que Freud, passionné par les traces du passé, avait une importante bibliothèque d’archéologie, composée de plusieurs milliers d’ouvrages, ainsi qu’une collection d’antiquités. Lorsqu’il déménagea de Vienne, il vendit sa bibliothèque médicale, mais conserva tous ses livres d’archéologie. Laurent Olivier établit un parallèle entre psychanalyse et archéologie : dans les deux pratiques, on procède couche par couche, dit-il. Le même schéma stratigraphique est à l’œuvre, dans l’esprit du patient pour les psychanalystes, dans la matière pour les archéologues.
Je n’ai pas lu Freud depuis longtemps, mais je songe immédiatement à La Recherche de Proust, merveilleux archéologue de la mémoire, et en particulier aux pages du dernier volume, Le Temps retrouvé que j’ai relu récemment, lesquelles demeurent encore fraîches dans ma mémoire.
Ce qui est étonnant (et amusant) lorsqu’on rencontre un chercheur, c’est que la première approche nous donne souvent un aperçu de sa démarche intellectuelle. Je comprends qu’avec Laurent Olivier, les ramifications vont être nombreuses et les points d’intérêt semblables à une galaxie dont les étoiles miroitent sur une voûte immense.
Mon ignorance me navre et me réjouit à la fois. Il est parfois apaisant de savoir que d’autres s’occupent de l’accroissement de nos connaissances, et qu’ils y mettent toute la passion qu’offre une véritable obsession.
Revenons sur le musée lui-même... Laurent Olivier me rappelle qu’il a été créé en 1862, pour « consigner les archives de la mémoire nationale ». Le musée a ouvert ses portes en même temps que l’Exposition universelle d’art et d’industrie de 1867. Pour cette exposition, Napoléon III s’entoure d’architectes et d’ingénieurs (dont le jeune Gustave Eiffel) et fait construire sur le Champ-de-Mars un gigantesque édifice de forme ovale. Le bâtiment principal est divisé en six galeries thématiques concentriques et partagé en tranches radiales par pays, avec au centre un jardin et le musée de l’histoire du travail. C’est dans cet épicentre que Jacques Boucher de Perthes, fondateur de la science préhistorique, présente un des tout premiers outils préhistoriques, en même temps que le concept d’« homme antédiluvien », sur lequel je reviendrai dans une prochaine chronique.
Laurent Olivier, tout en esquissant pour moi le croquis du « vélodrome » de l’Exposition universelle, m’explique le génial principe de présentation des œuvres, du présent (le bord extérieur de l’ovale) à l’origine (son centre). En remontant ou en descendant les allées rayonnantes, on glisse sur le fil du temps, au gré de son envie, allant du contemporain au plus lointain, et retour. L’archéologie constitue le noyau de l’édifice. Elle est l’origine du monde, son point le plus lointain, mais aussi sa focale la plus dense.
Le musée des origines s’est inspiré de cette conception : au départ, il s’agissait avant tout d’un centre d’archives, et d’un lieu assez vaste pour recevoir les collections des premiers préhistoriens, amateurs éclairés ayant fouillé ou fait fouiller leurs vastes propriétés, passionnés dont certains ont droit à une salle entière (leur nom est inscrit en lettres d’or au fronton des salles, sous le numéro de la pièce inscrit en chiffres romains).
C’est Malraux, dans les années 1960, qui a voulu que le musée devienne un lieu ouvert et accueille du public. Des travaux sont engagés et une muséographie est mise en place : c’est alors la chronologie qui prédomine. Le récit linéaire et chronologique est décliné partout à cette époque, dans tous les musées, m’explique Laurent, autour de très belles œuvres qui constituent autant de jalons édifiants sur l’échelle du temps. Mais personne ne raconte l’histoire des hommes qui ont conçu, fabriqué, utilisé ces objets.
À quelles représentations faisaient-ils référence ? Quelles mythologies, quels cultes, quelles pratiques profanes ou sacrées ?
Laurent Olivier, qui est anthropologue autant qu’il est archéologue, se méfie des pièges tendus par nos a priori. « Ce n’est pas parce que ça nous paraît normal que c’est normal » dit-il de manière à la fois claire et sibylline.
Il trace les grandes lignes de que pourrait être aujourd’hui un musée idéal, ou du moins, plus modestement, la ligne du musée en ce début du XXIe siècle, à savoir un subtil mélange d’archéologie, d’histoire et d’anthropologie.
Alors qu’il évoque les universaux — ces fondamentaux symboliques que l’on retrouve dans toutes les civilisations —, je repense à Leroi-Gourhan et à son ouvrage Le fil du temps (tiens donc !) qui m’avait tant marquée lorsque je l’ai découvert en 1988.
Je cherchais alors un éditeur pour le livre d’entretiens que je préparais avec Théodore Monod et quelqu’un m’avait conseillé la collection Entretiens avec, publiée chez Belfond. J’avais choisi Leroi-Gourhan car il se rapprochait le plus, dans son approche du monde, de Théodore. Les autres étaient presque tous des écrivains, Joyce, Eliade, Ionesco, Gombrowicz, et je n’avais sans doute pas envie, alors que je lorgnais du côté de la littérature, d’être écrasée sous le poids de ces monuments. Je me souviens de l’été 1988, passé à quelques kilomètres de la roche de Solutré, durant lequel je me suis plongée avec curiosité et délices dans les ouvrages de Leroi-Gourhan, l’inventeur (entre autres) du site magdalénien de Pincevent.
Dans Les racines du monde, ouvrage d’entretiens où il revient sur son parcours de chercheur, il explique le petit nombre de thèmes traités par les représentations formelles communes à toutes les civilisations : de mémoire, l’arbre aux oiseaux, la trilogie rapace-carnivore-herbivore, ou encore le cavalier, ou le colosse aux lions ou aux taureaux.
Laurent Olivier me conseille de lire La civilisation du renne (1936), dans lequel Leroi-Gourhan, âgé de 25 ans, tente un regard polysémique et cette ouverture spatio-temporelle alors tellement audacieuse, dans l’idée d’observer et de mettre en relation, de haut et de loin, trois époques de la même culture, du Pléistocène aux Eskimos actuels.
Laurent Olivier déplore les petites lorgnettes. « On s’intéresse trop aux objets, pas assez aux croyances. Nous, archéologues, sommes les imbéciles qui regardons le doigt quand on nous montre la lune. »
Quand je lui demande comment il s’y prend pour élaborer un récit des périodes sur lesquelles il travaille, Laurent me répond qu’évidemment, lorsqu’il raconte une histoire, il projette son environnement. Malgré tout, il ne dispose pas toujours de l’effet de réel que crée une fiction. « Une bonne fiction, dit-il, vous y croyez. »
Je suis bien placée pour savoir que dans une fiction, tout est vrai. Non pas parce que le romancier dit la vérité, mais parce que tout dans son histoire est vraisemblable et surtout parce qu’il s’adresse à la mémoire, aux émotions, aux universaux mentaux de chaque lecteur.
Chaque époque pose les questions de son temps... Les préoccupations contemporaines des anthropologues et des archéologues qui écrivent le récit du passé déteignent sur leurs interprétations et imprègnent leur manière de considérer les choses. Comme si, au fond, on ne parlait jamais que de soi... Le romancier fait la même chose, sans la rigueur scientifique, mais avec d’autres outils, plus subjectifs et plus intimes. La rationalité, qui apparaît plus clairement dans le travail du chercheur, obéit dans l’élaboration littéraire à des lois discrètes, invisibles parfois, mais toujours à l’œuvre.
Mais revenons aux Gaulois, la spécialité de Laurent Olivier — les boucles que forme notre discussion finissent toujours par repasser sous mon nez et je les saisis, au moment où elles abordent un sujet qui, ici, tient beaucoup de place.
« Nos représentations des Gaulois, explique Laurent, viennent des Romains qui, en tant que colonisateurs de la Gaule, en ont une vision extérieure, déformée, mais aussi réductrice. César, dans ses ouvrages (La Guerre des Gaules, par exemple) utilise les données de Posidonios, un philosophe et historien Grec dont les écrits datent d’environ un siècle avant J.-C. »
Et moi qui croyais que César s’était imprégné de la culture gauloise en territoire éduen (au nord de l’actuelle Saône-et-Loire), où il semble qu’il ait écrit en partie ses Commentaires sur la Guerre des Gaules. Bibracte était au premier siècle avant J.-C. la capitale des Éduens, peuple celte allié de Rome. C’est aujourd’hui un site archéologique, avec des fouilles en cours, un beau musée et un centre international de recherche. J’y vais chaque année, car Bibracte est à une vingtaine de kilomètres de ma maison de vacances. Pas un été sans que nous grimpions, avec mes enfants et leurs amis, à travers la forêt du Morvan et ses hêtres aux troncs déformés, jusqu’au sommet du mont Beuvray pour une journée sur le site... Lorsqu’il fait beau, on peut apercevoir, quand le ciel est bien dégagé, les neiges éternelles du Mont-Blanc. Il y a même un restaurant qui propose des spécialités gauloises inspirées de restes d’aliments découverts par les archéologues, de la cervoise locale et du pain à l’orge et au seigle. On mange, dans des écuelles qui reproduisent celles trouvées lors des fouilles, du bœuf au cidre accompagné de chou et de lentilles, des fromages frais au miel (les mêmes que ceux que préparait la fermière du village de ma grand-mère, lorsque j’étais enfant), des poires pochées au sirop de sureau.
Alors, que nous dit Jules César des Gaulois ? Ce qu’il a écrit ne correspond pas à la réalité de la Gaule celtique, m’apprend Laurent Olivier : le « pays » est appréhendé par les Romains comme un territoire fermé, hostile, à conquérir. La vision colonisatrice des Romains les fait tomber dans les mêmes travers que ceux qui ont permis aux grandes puissances européennes de constituer leurs empires coloniaux. Les Gaulois sont donc paresseux, ils dorment par terre, ils sont sales, bruyants, font beaucoup d’enfants, parlent fort, ils mangent comme des cochons, ils sont arrogants, lâches, etc. « Une image totalement délirante » résume Laurent Olivier, mais qu’ont cru sur parole les archéologues du XIXe siècle. Au point que « lorsqu’on trouvait des pièces d’orfèvrerie dans des sépultures ou lors de fouilles, on n’attribuait pas aux Gaulois ces objets raffinés ». En fait, on croyait au mythe de l’œuvre civilisatrice de Rome, répandant sur un terreau pauvre et une culture aride les bienfaits de sa domination. Ce n’est que depuis les années 1980 que l’on commence à remettre en question cette vision.
Malgré tout, les Gaulois, ce sont nos ancêtres, et Astérix n’est pas pour rien dans la transmission de cette dualité éprouvée par chaque petit Français : l’irréductible Gaulois franchouillard, râleur et débrouillard, bon vivant, truculent et un peu grosse brute (ça c’est plutôt Obélix), dressé contre l’envahisseur mais forcément plus rustre que son homologue le légionnaire romain, dans sa jolie tunique blanche bordée de pourpre. Laurent souligne comment le pouvoir politique, Napoléon III le premier qui souhaitait revaloriser la romanisation de la Gaule, a louvoyé au cœur de cette ambiguïté. « Nos ancêtres les Gaulois, c’est l’acceptation d’une défaite (celle d’Alésia et de Vercingétorix) et d’un massacre (celui du peuple gaulois) » décrypte-t-il sans ménagement.
Mais la tendance à la résistance, l’aspiration à la liberté n’est jamais loin. En 2018 un président de la République, en évoquant les « Gaulois réfractaires », peut jeter le pays dans la rue. On est toujours dans la Guerre des Gaules, finalement !
La voici la fiction, pointe Laurent Olivier : l’image a été construite, véhiculée au fil des siècles et assimilée. Ça s’appelle le mythe... Avant la Révolution, les Gaulois sont vus comme des ancêtres ruraux qui nous ont précédés dans les campagnes. Lorsque le Premier Consul Bonaparte prend le pouvoir, c’est par le biais des attributs de César et l’imagerie romaine. Le premier Empire, c’est le retour de Rome en Gaule !
Le temps linéaire se transforme en temps cyclique, revenant indéfiniment sur ses traces.
Que Napoléon III ait souhaité mettre en valeur la mémoire nationale dans ce musée des antiquités celtiques et gallo-romaines n’est certainement pas un hasard de l’histoire... Exalter la figure de Vercingétorix en glorieux vaincu est un récit qui colle à l’actualité, surtout après la reddition de Sedan en 1870.
Comme le dit Laurent Olivier en conclusion de ce premier épisode : « Le passé est une fontaine de significations, il y a toujours quelque chose qui en sort. »
Acte 2 : pas de rendez-vous au musée sans un petit tour dans les salles. Cette fois, Laurent m’emmène dans les salles du deuxième étage, celles qui furent créées à l’ouverture du musée, sous Napoléon III, et qui sont fermées au public depuis les années 1960. Sous Malraux, le musée a été entièrement repensé et refait, on a laissé le deuxième étage dans l’état et on a fermé ces pièces. Autant dire que revenir en 1867 est assez plaisant. J’aime tout dans ces vastes salles voûtées dont chacune porte le nom d’un donateur et présente ses collections : la couleur rouge sombre des murs peints, les vitrines en bois et verre, les accumulations d’objets, l’étiquetage... Je voudrais y rester des heures, il y a tant de choses à voir.
La salle Baron de Baye, la collection Caranda et le legs Frédéric Moreau qui a fouillé ses terres dans l’Aisne, la collection de terres cuites bretonnes d’Henri du Châtellier, les collections qui proviennent de fouilles dans les Hautes-Pyrénées... Y a-t-il vraiment tant de choses sous nos pieds, à quelques dizaines de centimètres du sol que nous arpentons ?
Laurent Olivier m’apprend qu’on considère que tous les 4 hectares, se trouve en moyenne un site archéologique d’importance. C’est le moment de sortir les pelles, si vous avez un grand terrain.
Ça me rappelle la quantité de fossiles d’ammonites exhumés par mon père dans le jardin de ma grand-mère et tous les tessons de poterie, de céramique, les morceaux de ferraille rouillés que j’ai pu voir apparaître en bêchant, ou en grattant le lit de la rivière, dans ce même jardin où je remue la terre chaque printemps et chaque automne. J’en ai une coupelle pleine, sur laquelle viennent s’ajouter régulièrement ceux que je découvre au fil des ans. Belles ammonites et rostres de bélemnites se mélangent aux petits corps décapités d’angelots en biscuit, aux tessons de terre cuite gravés du nom de leur potier, aux lames épaissies par la rouille, aux fragments, morceaux d’ustensiles, d’outils, vestiges de vies oubliées.
Je ne peux jamais me résoudre à jeter ces débris inutiles, ils ont un jour eu leur place dans les intérieurs de mes ancêtres, à moins que la rivière qui descend depuis le château à travers les pâtures les ait roulés et portés jusqu’ici, qui sait ? Ce n’est pas seulement leur âge qui m’émeut, mais leur mystère. A qui ont-ils appartenu, à quoi ont-ils servi, de quelles scènes ont-ils été les témoins ?
Poursuivant notre déambulation, nous entrons dans une salle ronde, désormais abandonnée. Sur les murs, des peintures d’Albert Girard réalisées au début du XXe siècle représentent les ouvrages romains du Sud de la France, pont du Gard, arènes de Nîmes. Un téléphone gris des années 1970 me renvoie dans une autre strate de temps, celle de mon enfance. Que ces allées et venues sont troublantes ! On se croirait embarqué dans une machine à remonter le temps déréglée qui obéirait à une logique aberrante, mélangeant les époques, mettant à nu, brutalement, des pans entiers du passé et de la mémoire.
Dans la première salle gauloise du musée, une belle et haute salle – elle date de 1867 –, Laurent me montre des vases en céramique, datant du Ve siècle avant J.-C. Ils viennent de Champagne et ont été réparés à l’époque de leur découverte avec des colles qui ne tiennent plus aujourd’hui. La restauration XIXe au plâtre coloré laissant apparaître les fragments disparus n’a plus cours désormais. On utilise un plâtre plus fin, plus proche de la couleur initiale du vase, pour une restauration plus discrète. Là encore, chaque époque à son dogme et sa manière. Nous irons visiter un prochain jour l’atelier de restauration...
Nous n’avons plus le temps de parcourir les collections de l’aile gauloise du musée, que Laurent Olivier a conçues et élaborées en 2012 (on y retrouve sur les murs la peinture rouge sombre des origines, ce qui donne aux salles une esthétique particulière, très chaleureuse, et une atmosphère de profondeur qui met en valeur et magnifie les œuvres présentées). Il faudra revenir... Ma plongée dans cette science mouvante qu’est l’archéologie me laisse entrevoir, à chacune de mes visites, des perspectives toujours plus vastes. Chaque coin de voile soulevé m’entraîne vers des gouffres, ceux de mon ignorance, et ceux (miroir renversé) des connaissances de ceux qui avancent pas à pas vers la compréhension. Je dis qu’ils avancent, mais le chemin est inconnu, et les régions auxquelles il conduit imprévisibles. Leur qualité première est la curiosité, l’avide curiosité qui pousse les hommes et les femmes à comprendre, à chercher et à fouiller le passé à la fois si riche et si rétif, à réfléchir et à tenter de proposer des récits, récits de vies enfouies, d’êtres disparus.
Dans le conte de Pascal Quignard Les enfants du Marais, mis en musique par la compositrice Suzanne Giraud et que je suis allée entendre samedi dernier au studio 104 de la Maison de la Radio, l’enfant assassiné dont le crâne continue de chanter merveilleusement, a ces mots splendides :
Tant que je serai perdu, mon âme persistera à chanter
Mon nom n’a pas rejoint mon corps qui a rejoint la mer
Je ne suis pas mort, je ne suis pas mort, je ne suis pas mort,
Je suis disparu.
À l’écoute de la musique de l’orchestre qui virevolte parmi les voix des jeunes choristes, il m’apparaît soudain que ce que recherchent les archéologues, c’est cette âme disparue qui continue à chanter en silence, souterraine/sous terre, reine.