Marc Dugardin | Notations, variations, effilochures… 1

notations, variations, effilochures…

J’aimerais interrompre l’interruption. C’est, je crois, une question de vie ou de mort. Reprendre la marche désertique dans les rêves – pas leurs petits tas de fragments ici ou là, mais leurs plissements qui se perdent à l’horizon, autant dire à l’infini.

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Et je reprends donc un peu. Ça me reprend. Gare. Café, lecture dans l’attente du train. Et les passants. Les visages que l’on voit passer. Ceux des enfants. Fillettes africaines aux cheveux tressés. Quelque chose bouleverse. Une inquiétude, un sourire. Je me sens vivre, des enfants me mettent au monde. Tant pis si c’est trop simple de le dire comme ça.

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Au détour d’une page, tout s’assombrit. On reçoit des coups de griffe. On en donne. Le mot indulgence vient comme une éclaircie. Être aussi fort que cette faiblesse-là.

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Le désert, oui, c’est aller vers le puits. Le puits, une femme qui s’avance, la cruche sur l’épaule. Ce n’est pas une pensée. C’est l’impensable. La bonté dont on n’avait même pas idée.
L’écrire ici, comme un peu d’eau sur les lèvres.

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A qui appartient ce visage ? A celle qui, de toujours, existe. Pourvoyeuse de soif. Partageuse de poussière et de sueur. Elle, dont nous ne connaissons pas le nom.

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L’enfant,
la flaque,
l’éclaboussure.

Matin où quelqu’un écrit les mots qui le surprennent. On le rejoint, là où ni lui ni nous ne savons tout à fait ce que ces mots veulent dire.

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Et presque à chaque page que je tourne, tu as laissé le mot douceur. Le voilà orphelin. Alors, je l’adopte. Mais jamais je ne l’adoucirai aussi bien que toi. Ma voix s’éraille, sèche, rugueuse, rauque. La tienne s’humectait de chaque matin, pourtant gagné sur l’insomnie.

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Parfois il faut que quelqu’un nous autorise à crier. Nous donne à entendre une musique qui ne fait plus que cela, crier.
Crier, crier, hurler, gueuler !
Accueillir la dissonance, rompre l’écoute bien-pensante de la musique. Ne pas la violenter, mais y entendre la violence.
Parfois il faut que quelqu’un, dans son extrême douceur, nous y autorise.

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Mon poème est un psaume manqué, un psaume inabouti, le fragment d’un psaume que j’aurais voulu entier, le psaume de l’impossible tout.

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Louée soit celle ou celui qui viendra. Qui n’aura pas peur de trembler, sa main posée sur la mienne.
L’inconnue, l’inconnu qui ne craindra pas de me reconnaître. De ne pas me reconnaître.
Qui me fait écrire ?
Louée soit celle, loué soit celui qui n’exige pas que je réponde.

Travailler, surtout se laisser travailler, se laisser travailler au corps ; et qu’advienne parfois, sur la page, une petite naissance…

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Les coquelicots, ces rebelles ! Fleurs trop belles, pas dans un écrin, mais jusque dans la poussière des coins les plus hideux. Fleurs-barricades, fleurs à peine fleurs, le temps d’un pied de nez. Coquelicots, éclatants, fragiles, toujours à deux doigts de l’hémorragie. C’est cela : beaux comme un coup de sang !

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Une voix. Un chant. Sans objection, sans démenti. Une voix. Un chant. Ce n’est rien. C’est tout. C’est, tout entier, le présent où l’on vit. Où vivre nous pardonne de nous être si souvent absentés.

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Ce goût maladif pour le mot douceur.
Ou c’est peut-être le poème qui est malade de ce qu’il n’a pas.
Tant de matins où le rêve nous abandonne sur le rivage de ce que nous avons perdu !
Écrire pour ne pas renoncer.

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Écrire…
Pour que ce ne soit pas l’impossible qui ait le dernier mot.

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La musique nous emmène là où se sentir guéri est possible. J’aurais envie d’écrire : c’est là qu’elle nous attendait.

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D’autres extraits des Carnets de Marc Dugardin ont été publiés :
Notes sur le chantier de vivre (2009-2013), avec des gravures de Nicolas Grégoire, coéditions Rougerie & Centrifuges, 2017.
D’une douceur écorchée Janvier 2016-Décembre 2018, suivie d’une approche par Vincent Tholomé, éditions Rougerie, 2020.

10 janvier 2022
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