« Mon travail serait finalement que les élèves s’autorisent à écrire dans leur langue et qu’ils en soient fiers. »

Jean-Louis Giovannoni, en résidence au lycée Paul-Bert (Maisons-Alfort, 94), a répondu à nos questions.



— Vous êtes en résidence en lycée, pour plusieurs mois : comment cela se passe-t-il (quelles étaient vos attentes, que veniez-vous faire là ?), et qu’est-ce qui se passe (concrètement : faites-vous des rencontres, des ateliers, de quel type, et comment cela fonctionne-t-il ?)

Je suis en résidence au Lycée Professionnel Paul-Bert, qui est mon port d’attache, et je travaille aussi avec le Lycée Eugène-Delacroix et l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort. Dans ces trois lieux, en accord avec les professeurs de troisième, seconde et de première ainsi qu’avec les professeurs documentalistes, j’ai mis en place des ateliers d’écriture. Chaque classe a bénéficié d’un cycle de cinq séances d’atelier, reparties de la façon suivante : quatre ateliers consacrés entièrement à l’écriture, et une dernière séance réservée à la saisie des textes par les élèves eux-mêmes, après que je les aie relus et que j’aie suggéré aux élèves quelques modifications éventuelles.

Le professeur documentaliste du lycée et les professeurs concernés ont aussi travaillé en amont avec les classes, en faisant lire des extraits de mes textes portant sur les thèmes du corps humain et animal …“ thème central de ma résidence.

Les classes …“ des deux lycées …“ ont bénéficié d’une visite au Musée Fragonard (XVIIIe- XIXe), situé dans l’Ecole Vétérinaire. Ces visites ont permis aux élèves d’explorer concrètement les thèmes cités plus haut, et d’écrire de nombreux textes sur les animaux qu’ils ont vus dans le musée, et ce sous toutes leurs formes : ossements, section de tératologie, maladies, écorchés…

Écrire, c’est à la fois s’inventer et se découvrir ; s’inventer un espace que l’on ignorait auparavant, un espace qui nous est propre dans notre propre langue maternelle, et qui sera d’autant plus nôtre que l’on s’autorise à le libérer dans notre écriture. J’attends des élèves que chacun d’eux découvre son propre espace dans la langue.

On n’écrit jamais pour soi, on écrit toujours pour quelqu’un, un destinataire réel ou imaginaire. Même si nous ignorons à qui s’adressent réellement nos textes, l’écriture, elle, a besoin de s’inventer une adresse. Être lu est le propre de toute écriture. Tout texte attend un lecteur.

Écrire, c’est avant tout, dé-couvrir ce qui se tient en nous, qui nous est propre et que nous ignorions auparavant.

Nous n’écrivons jamais n’importe quoi. Même si le texte n’est pas toujours bien ordonné, « comme il faut », on doit le laisser naviguer librement pour qu’il puisse dessiner son propre espace ; espace qui sera aussi le nôtre car nous sommes un peu ce que nos mots agitent et donnent à lire.

On ne découvre son écriture, son phrasé, sa langue, y compris ce que l’on veut dire, que dans l’instant où on l’écrit. Pour cela, j’utilise des amorces, débuts de phrases à prolonger, sans réfléchir, ni analyser, en se laissant porter uniquement par ce qu’elles suggèrent à l’imagination. Toute réflexion, avant même d’écrire, bloque la venue des phrases, leur surgissement et empêche les élèves de développer leur monde interne.

Les ateliers ont besoin de la rencontre pour réellement exister. Sans cela, il n’y aurait pas, pour chacun des élèves, de découverte de sa propre langue, s’il n’y avait pas de rencontre fondamentale. Une parole, un mot n’existent vraiment qu’une fois prononcés ou écrits mais encore faut-il que cette parole, ces mots soient entendus, accueillis, pour que ce qui est en train de naître, s’affirme comme un espace personnel, y compris dans sa fragilité.

Aucun atelier d’écriture ne ressemble à un autre, et c’est ainsi d’une séance à l’autre. L’imprévu est nécessaire pour que les élèves et moi-même vivions cette aventure, cette découverte, comme des moments exceptionnels de notre travail en commun.

— Et elles et eux, que disent-ils ? Quels propos, réactions, demandes, vous ont déjà marqué lors de ces échanges ?

Je laisserai le soin aux élèves de répondre à cette question (voir le cahier des secondes de Paul Bert).

Ce que je sens pendant la tenue des ateliers et après aussi, c’est que les élèves ont vécu une aventure dans la langue qui les satisfait, dont ils sont fières aussi, et pour moi c’est la plus grande récompense que l’on puisse m’offrir.

Ce qui me marque toujours, c’est de voir les élèves s’investir dans les ateliers où ils découvrent, non seulement qu’ils ont quelque chose à écrire, mais aussi que leurs textes sont à la fois lisibles et intéressants, qu’on peut lire à haute voix à d’autres et que ceux-ci y trouvent intérêt et plaisir à les entendre.

Les échanges sont généreux de la part des élèves qui à la fois questionne le poète que je suis, mais aussi ma passion de l’écriture ; que tout ceci est non seulement partageable, mais qu’ils peuvent eux aussi vivre cela. Ils découvrent surtout que l’écriture, le maniement de la langue n’est pas réservé qu’à certains, mais appartiennent à tous si on s’autorise à s’emparer.

Mon travail serait finalement que les élèves s’autorisent à écrire dans leur langue et qu’ils en soient fiers.

— Comment, depuis cette expérience concrète, répondriez-vous à cette question si récurrente : « à quoi cela sert-il ? » (pour elles et eux, pour vous)

Je pense qu’à travers ce que j’ai abordé précédemment, je réponds à la question « à quoi sert un atelier d’écriture ? Question que je trouve essentielle car un atelier d’écriture doit avoir des objectifs autres que d’être purement ludique. L’aventure, à laquelle sont invités les élèves, est souvent joyeuse mais elle n’en est pas moins d’une certaine « gravité » car c’est le moment où l’on découvre à travers l’écriture qu’on a une voix personnelle et qu’on se doit de la faire entendre au même titre que l’on accueillera celles des autres comme une richesse.

Jean-Louis Giovannoni

11 mai 2019
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