my o’hara - à l’occasion de la sortie du recueil éponyme de traductions

hello hi hi hello,

La résidence se passe bien. Tant les ateliers que l’écriture du livre sur les noms qui a changé de nom. Mais j’ai tant retardé mes articles pour remue point net !

Ce mercredi 5 avril à 19h, à la librairie After 8 Books, rue Alfred Jarry à Paris Xe, a lieu le lancement d’un cahier de traductions de poèmes et proses traduites par yours truly.

Bonus : il y aura les autres cahiers d’intraduction que Théâtre Typographique a publié ces dernières années. Et quels cahiers !

Pour l’occasion, j’ai même récupéré un nouveau middle name, trouvé par Bénédicte Vilgrain, une moitié de Théâtre Typographique. Un « e. » apparaît entre mia et brion.

Soit c’est nos allers-retours d’e-mails qui font des e & e & e & e & e & e…

Soit moi qui essaye de faire changer sa perception de l’usage de l’écriture inclusive - pour elle, féminiser des termes n’est que les amoindrir, et elle se revendique éditeur, traducteur plutôt que éditrice ou traductrice.

Soit c’est une référence à ma passion pour les acronymes et l’usage dans les manuscrits de Frank O’Hara de MIAE, pour Meditations in an emergency.

all about f

Frank, né en 1926, mort tragiquement 40 ans plus tard sur Fire Island, est une figure de la New York School, aussi commissaire d’expo au MoMA, et un mec gay pré-Stonewall.

Son ciel hésite entre Bélier (qui serait son vrai signe astro) et Cancer (celui qu’on lui a inventé pour cacher sa conception pré-maritale de trois mois). Frank O’Hara aimait la musique et voir de gros films au cinéma. Ce à quoi je me relie, en plus d’être aussi une naissante du crabe.

Dans MIAE, il y a le fameux To the film industry in crisis, qui insiste sur le fait de rendre hommage là où il est dû.

Comme vous l’aurez deviné, voici ce que je lui rends et lui dois : beaucoup.

storytime

Découvert en cours d’histoire de la création littéraire en 2015, je l’avais déjà croisé plus tôt, dans la saison 2 de Mad Men, où il est en filigranes, avec MIAE, justement. Un mec (trop cool pour Don / Jon) au comptoir d’un bar lit le recueil répond à la curiosité du protagoniste que ça ne lui plairait sûrement pas.

Il finit par obtenir le recueil pour lui-même, et lit / envoie Mayakovsky à une personne spécifique (no spoilers) en promenant son chien dans le season finale qui s’appelle donc… MIAE. Un poème de poète pour poètes sur un poète pour poètes. Meta récursive et incursion dans la pop (culture). Tout ce qu’on aime par ici.

Dans un article du Times, que j’avais traduit à la hache été 2017 le showrunner de Mad Men, Matthew Vaughn, explique avoir une histoire avec Frank :

  • Alors que Don est assis à un comptoir à prendre son déjeuner, il jette un coup d’œil aux alentours et voit quelqu’un lire un recueil de poèmes de Frank O’Hara. « Est-ce que c’est bien ? » demande Don. « Je ne pense pas que vous aimeriez, » répond cette personne, voyant Don comme rien d’autre que le prototype de l’homme dans un costume en flanelle grise. À la fin de l’épisode, on voit Don lire un morceau du poème « Maïakovski » et on entend, en voix off, une phrase particulièrement résonnante : « Maintenant j’attends calmement que la catastrophe de ma personnalité semble belle à nouveau, et intéressante, et moderne. »
  • C’était une occurrence magique. J’ai étudié la poésie à l’université, et je lisais beaucoup de poésie, mais je ne connaissais pas Frank O’Hara. Ma femme m’a emmené entre les deux premières saisons à une exposition au musée de la ville de New York, et ils avaient des poèmes d’O’Hara imprimés sur des feuilles volantes mises à disposition. Donc j’en avais gardé une pliée dans ma poche, et cela m’amena à penser que Don, qui ressentait un profond ennui après s’être réengagé auprès de sa famille, rencontre ce mec qui lui dit qu’il n’est qu’un costume, un col blanc.
  • Selon moi, Don avait acheté les « Lunch poems ». Mais ils n’étaient pas encore publiés, donc il a fallu choisir Méditations dans l’urgence. J’en ai lu une partie, et dit qu’on utiliserait ça. Le livre avait une très belle couverture, dans l’air du temps, c’était définitivement un livre populaire.
  • On l’a mis dans l’épisode et alors à la fin, Kater Gordon, qui était l’assistant du scénariste à l’époque, dit : « Vous ne pensez pas qu’il devrait en lire un bout ? Vous ne pensez pas qu’on devrait l’entendre ? » Et alors je n’avais toujours pas lu le livre en entier. Donc je me suis assis et ai pris le temps de lire le dernier poème, « Maïakovski », et je m’exclamai « Quoi ? C’est le thème de la saison ! » C’était exactement lié à la manière dont Don se sentait dans cet épisode. Je voudrais bien faire comme si ça avait été prévu ainsi, mais ça ne l’était pas.

Je pense qu’au moment 2015, une artiste pop (musique) et vivante comptait pour moi. Frankie Cosmos. Funniest fact, en plus d’être de New York et d’écrire des « chansons rapides » (quick songs), son nom de scène vint de son ex d’alors, musicien aussi, qui trouvait ses paroles très proches de Frank O’Hara …“ mais aussi du cosmos.

Rétrospectivement, je ne peux pas m’empêcher de voir Aaron Maine lui délivrer cette filiation littéraire comme un cliché hipster début des années 2010, c’est-à-dire, comme si elle n’en avait jamais entendu parler.

Mais soit, dans ma poétique de l’époque, celle de l’a la le, c’était un heureux hasard qui se voulait des plus signifiants, et j’en étais ravie.

En effet, difficile de ne pas faire de lien entre Having a coke with you et Outside with the cuties, pour citer deux hits respectifs des concernées.

Certes, dans cette généalogie étymologique bla bla bla des noms, c’est tout. Pour rire, même si c’est faux, j’ajouterais volontiers Frank Ocean. L’inspiration venant de Frank (Sinatra) dans le Ocean(’s 11) originel.

Si l’on revient à Having a coke with you, qu’on peut entendre voir lire Frank ici

Voici une publication TikTok sponsorisée par Coca-Cola de ROSALÃ A en 2023, où elle prépare avec soin chez elle (?) un coca d’une nouvelle saveur, avec une caméra un peu fisheye nous mettant au plus près d’elle et de l’ASMR cannette / glaçons / citron. Serait-ce notre quatrième membre du supergroupe o’hara ? je l’espère.

J’ai entendu dire que José Estaban Muñoz serait très critique de ce poème. Je n’ai pas encore lu Cruiser l’utopie mais vous promets de le faire.

D’ici là, je ne peux pas conjurer les « coca-cola poèmes » écrits il y a près de dix ans (sur quel disque dur les trouver, et encore, y sont-ils ?), avant même de lire Having a Coke with you, pour l’une de mes camarades d’atelier qui en consommait avec allégresse. s/o djoudjou

Mais peut-être puis-je parler de la tracklist de my o’hara.

Pop, parce que concise. 10 pistes. 5 en vers 5 en prose.

1. metaphysical poem

En ouverture, un de mes all time favorites, qui a une version live ici

2. as planned

Je peux citer mon mémoire de cinquième année (RIP 2017), dirigé par Pierre Alferi :

Dans la bibliographie filmée de Paterson de Jim Jarmusch, sorti en 2016, les Collected poems apparaissent comme dans l’attitude générale du film. Ron Padgett est le poète qui a écrit ce que le personnage principal, le poète (Paterson, Adam b. Driver), écrit, dont le fameux sur la boîte d’allumettes bleue. Je lui ai demandé à une lecture s’il y avait un hommage à celle violette du poème As planned, il m’a garanti que non, c’était bien « sa » boîte d’allumettes dont il parlait, mais que le hasard et la magie étaient une chose dont on avait bien besoin.

3. song (is it dirty)

ça s’appelle une chanson, et ça parle de saleté, et ça me rappelle… ceci

4. poem (hate is only one of many responses true)

a cette qualité cryptique dans sa syntaxe qui me ravit, en plus d’être une manière de lécher / panser une plaie que j’avais béante à l’époque de sa sélection.

Twist ! en 5-6-7-8 des proses (dont la dernière n’est pas de O’Hara mais de Cynthia Nelson), que O’Hara se désespère d’avoir à écrire autant qu’il peut s’en amuser, et se trouve à bien des égards paradoxalement proche de sa poésie en vers, tant dans le sujet que les refs.

J’aime particulièrement leur côté « statement » : déclaration, mise à plat des faits, rendre les choses manifestes, trait qui s’applique au poème de Cynthia Nelson.

5. [STATEMENT FOR THE NEW AMERICAN POETRY]

Là, statement prend le sens de position (« stance ») et même si plus douce que la piste précédente (et la suivante), Frank se tient à un croisement étrange et explicite ses problèmes avec la poésie.

6. [STATEMENT FOR THE PATERSON SOCIETY]

L’ordre chronologique, qui peut sembler utile parfois pour la théorie, n’est pas respecté. Cette décla est apparue deux ans après (mais permet d’établir un lien avec) la 7.

7. Personism : a Manifesto

Sa prose la plus connue, sans aucun doute, un anti-manifeste qui est même présent et partiellement commenté sur (rap)genius ! Ce qui en fait de la pop.

8. Une chose à propos des poètes , in The New Fuck you - Adventures in Lesbian reading (liz Kotz & eileen Myles ed., semiotext(e), 1995)

J’ai trouvé ce texte de Cynthia Nelson dans le recueil en question après l’avoir acheté chez After 8 en mars 2021, et l’avoir relu à la Maison de la poésie de Rennes en mars 2022 pour qu’il paraisse traduit en mars 2023.

Et je le trouve si O’Hara… que j’en ai rêvé un front commun TPG (traductrice, poète, géniale ?) : Nelson fait référence à James Schuyler récemment décédé dans ce texte, autre grande figure de la New York School. C’est comme un featuring, une guest track.

9. Lines for the fortune cookies

Il nous restait, dans la contrainte des 24 pages des cahiers, de la place pour 2 pages, et j’ai été enquise par Théâtre Typographique de trouver un poème d’O’Hara pour les remplir.

Je trouvais doux de finir sur l’un des poèmes les plus « conceptuels » de son œuvre, qui écrit des phrases aussi vagues que spécifiques qui rentreraient dans des biscuits offerts à la fin du repas dans un restaurant chinois. Les références me passent sans recherche par-dessus la tête, tout en ne doutant pas un instant qu’elles soient des plus recherchées, mais j’aime bien l’abstraction que cela crée.

10. Track 10

Je cite mon éditrice et l’envers de la quatrième de couverture :

Extrait de « A Good Peeking », dette de Mia e. Brion envers un texte d’Anthony Madrid paru dans The Paris Review le 14 décembre 2016 : « A Good Whipping », à lire sur : https://www.theparisreview.org/blog/2016/12/14/a-good- whipping/ :

une lecture incisive de la lecture des Thraliana, ou carnets de Hesther Thrale (1741 …“ 1821), dans le poème « Meditations in an Emergency » par Frank O’Hara (25 juin 1954. Traduit en français : « Méditations dans l’urgence », Olivier Brossard et Ron Padgett tr., dans le livre du même nom Méditations dans l’urgence, joca seria 2011, cf. p.49 et 112-113).

Cette dette de dette (de dette, &c), c’est la 4e piste en l’état actuel du fameux prochain livre pour lequel je suis en résidence, rédigée en mars 2022 à Rennes (s/o Lucie s/o Quentin).

J’imagine que dans d’autres articles sur ce blog, je parlerai un peu plus de ce livre au travers des retours d’ateliers divers et variés.

Joyeux printemps à touxtes,

mia e

5 avril 2023
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