CHICAGO-reconstitution
Ecrite (engendrée pourrait-on dire étant donné son sujet) dans le cadre de la résidence d’auteure de Clyde Chabot à Verrières-le-Buisson, “CHICAGO- reconstitution” s’inscrit dans la droite lignée des monologues ouvertement autobiographiques que sont “SICILIA” et “TUNISIA”, ses pièces au titre géographique creusant l’Histoire familiale dans ses origines et ses migrations, à ceci près que l’énonciation de la parole y est déplacée d’un cran, avancée d’une génération en quelque sorte puisque l’auteure positionne l’émission narrative dans la bouche de sa fille de 16 ans. A l’instar de “SICILIA” et “TUNISIA” c’est un retour en arrière qui s’opère, reconstituer le passé pour mieux envisager le présent et l’avenir, renouer les fils, inscrire dans le temps de l’écriture une histoire ancienne et pas n’importe laquelle : la naissance de son enfant né “prématurissimement” aux Etats-Unis, à Chicago, où une branche de sa famille avait émigré à la fin du XIXe siècle, comme si, ce qui n’était censé au départ n’être qu’une halte anodine pour raisons professionnelles, se transformait alors, par la grâce d’une naissance le 24 décembre, en événement indélébile, marqué au fer blanc par cette ville, terrain d’atterrissage d’existences d’une même souche, liées par un même sang par-delà les siècles. De détour bref avant de rejoindre New York pour les festivités du Nouvel An, Chicago devint le point de bascule de trois vies, celles d’un bébé arrivé trop vite et de ses parents déboussolés. Le simple transit se fit long séjour (bien plus long que prévu), véritable épopée de vie si fragile que la mort n’est jamais loin. Mais Clyde Chabot se départit de tout sentimentalisme dans ce flux de souvenirs qu’elle relate, elle remonte à contre-courant dans sa mémoire pour écrire au plus près et au plus juste cette aventure intime qui nous happe d’emblée et nous tient en haleine de bout en bout, suscitant en nous stupéfaction, vagues d’émotion et rires tant certaines situations sont cocasses malgré la tension inhérente au contexte. Si les motifs de la filiation et de la maternité sont présents dans “SICILIA” et “TUNISIA”, jamais le sujet n’a été abordé dans l’œuvre de Clyde Chabot de façon aussi organique et constitutive de l’écriture. En décalant le “je” qu’elle déployait doublement dans son diptyque familial en interprétant elle-même ces monologues personnels, confinant, dans leur rencontre avec la grande Histoire, à une paradoxale dimension universelle, Clyde Chabot ancre la parole au cœur névralgique du récit, donnant la parole à sa fille et tisse, dans l’écart temporel qui sépare l’adolescente de 16 ans du nouveau-né, le lien interrompu par un accouchement avant terme, comme pour terminer cette grossesse inachevée.
Au plateau, la comédienne Laëtitia Spigarelli, qui joue pour la deuxième fois sous la direction de Clyde Chabot (après “Christophe S”) donne corps à ce texte épuré et puissant, haletant de son enjeu principal. Visage doux et ouvert, elle entre, une boîte à chaussures entre les mains d’où elle sortira, au fur et à mesure de la pièce, les objets phares qui en jalonnent les étapes. Un disque de la Callas, un ourson en peluche, un dollar, un pyjama rose de bébé, un passeport américain. Elle n’en rajoute pas dans l’interprétation mais se laisse avec la délicatesse qui lui est propre, traverser par les mots qu’elle nous transmet en toute simplicité, un banc et un micro pour seuls partenaires de mobilier, complété par un vidéo-projecteur qui viendra apporter la touche finale : le film à l’envers des lieux clés de Chicago qui auront imprégné à jamais cette histoire au sens propre du terme extra-ordinaire. Accompagnée au violoncelle par Nathalie Jacquet et à la flûte par Grâce Milandou en un trio voix-musique tel que les affectionne la metteuse en scène, la comédienne excelle à distiller une émotion subtile sur un rythme fait d’accélérations et de décélérations en harmonie avec la présence musicale qui nous étreint autant que ce récit bouleversant.
Marie Plantin