Olivier Steiner | Visages de Versailles

Des visages et Versailles, une phrase comme une visite, une promenade sans autre destinée que la promenade elle-même, une errance ou une rêverie sans sommeil, les visages de mots qui nous regardent, nous sourient et nous préviennent, nous informent, nous précèdent, nous suivent, nous accompagnent, un petit livre d’images sans images, mais plein d’images cependant, de celles qu’on garde imprimées sur la rétine, un bréviaire ou un précis, un modeste mémento, un livre d’heures éparses, un carnet, un précis de matières plastiques, du marbre forcément, les marbres, la couleur et la douceur des marbres, du bois, des boiseries, du verre, beaucoup de verre, de la lumière, des miroirs, des glaces, partout des glaces, miroirs des eaux aussi bien, qu’elles soient Grandes ou plus petites, visages versés sur les surfaces miroitantes, une laïque liturgie des heures, des minutes, des secondes, il s’agirait d’inspirer et de respirer et de se faire voyant ce faisant, se faire regardeur-voyageur-visiteur, le livre des années d’or, d’un certain or des années, la patine des siècles et de ses légendes, des visages encore, des millions chaque année, des fables, un petit livre de grammaire visuelle, le contraire d’un pavé, des histoires comme autant de bosquets, de chambres vertes, l’histoire d’une nuit radioactive, ce serait la nuit du 5 au 6 octobre 1789 s’il fallait en choisir une, sans oublier les innombrables petites histoires des jours, du jour qui se lève, du Soleil qui se couche dans la chambre du Roi, cœur du grand corps de pierres, soufflons sur les bougies, les portes vont se refermer sur le salon d’Apollon, allons, une dernière révérence, approchons sans bruit mais retirons-nous dans un même mouvement, en silence et en catimini, Mozart à Versailles est un enfant qui joue sur un clavecin dans le salon de Madame Adélaïde, et ce Château nous dévisage, nos vies, nos âges, mais les petits doigts si rapides de l’enfant dans le salon de Madame Adélaïde, à quoi jouent-ils ? Une gavotte, à ce que l’on dit.

Des photos prises au portable, certaines sont volées, mais quand j’ai pu j’ai demandé la permission, même aux statues. Versailles c’est y être, en être pour certains, c’est rêver d’y être et y aller, depuis le bout le monde ou depuis Paris, via les transports en commun. Il y a la jeune fille en noir, qui vivait dans la rue, qui ne m’a pas demandé de cigarettes, m’a juste demandé ce que je faisais, dans la vie. Il y a l’Apollon du Belvédère, j’ai préféré m’arrêter devant la version bronze sur la façade du château qui regarde les Jardins. Quand le soleil vient l’habiller c’est l’été qui triomphe, même en hiver. Il y a le jeune militaire dans le RER, il me plait de penser qu’il va à Saint-Cyr-L’Ecole, mais c’est peut-être une caserne moins prestigieuse, de toute façon il ne descendra pas à Versailles-Chantiers, laissons-le dormir dans son mystère. Il y a ce matin-là un rayon de soleil presque solide, tranchant, blanc, qui vient repasser la nappe sur la table du Cabinet du Conseil autrefois appelé Cabinet du Roi. Il y a cet autre jeune homme, qui dort lui aussi, en tee-shirt blanc, c’est la fin de la journée et il va vers Paris comme moi, nous rentrons. Il y a les taches de vieillesse sur la peau verte des statues près des bassins, le temps parachève la sculpture, que ne le fait-il pas sur nos corps humains ? Il y a, dans le bus qui dessert chaque matin le Château à destination de ceux qui vont travailler, des mains posées, des enchevêtrements de corps, des visages rivés sur des écrans et des oreilles qui écoutent de la musique. Il y a enfin la statue équestre du Grand Louis sur la place d’Armes, elle se trouvait à l’origine dans la cour d’Honneur, je pense à ses grandes sœurs de la place des Victoires à Paris, de la place Bellecour à Lyon, celle enfin sur la promenade du Peyrou à Montpellier.


11 septembre 2019
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