Paris 18, épisode 2

Ces textes constituent un fond de notes pour une composition prochaine. Ils sont adressés aux « acteurs » de la Compagnie Résonances. Ils sont écrits à partir de citations autour du thème du tissu, à partir de poèmes accompagnant des repas distribués dans le 18e arrondissement et autour de quelques réflexions sur les fameux confinements et déconfinements bien connus. Certaines citations sont des invitations à écrire.



Deuxième épisode
Chant du 18e arrondissement de Paris.

Et les enfants confinés chantent un chant. Je l’entends, accompagné à la machine à coudre. La machine à coudre est-elle la machine à voler ? Est-elle montgolfière ? C’est un très long et tranquille miaulement d’ennui. Il scande l’espace ouvert du temps, son moulin, sa grande baratte au barattage du lait céleste. Confinement confine à confins, la limite de l’extrême, l’extrême limite de l’état de droit en droite ligne dans le mur. Dans le tissu urbain on longe sans cesse des murs, on flâne au pied des murs, on écrit sur les murs et on foule et piétine des pavés et du béton et du bitume. L’élasticité des pas va de pair avec la souplesse de la pensée raisonnante. Mais résonnons comme résonne la voûte et les clefs de voûte. « Dans ce tombeau, un grignotement de rat prenait des résonances étranges. » Dans cette chambre, le vrombissement du moustique prenait tout l’espace et nos corps.

« L’impératrice était habillée de satin blanc brodé d’argent », un écureuil était juché sur son épaule gauche, retenu à la patte par une fine chaîne dorée. C’était un écureuil savant et gymnaste. L’Impératrice l’avait choisi parce qu’il avait dix fois échappé à une martre de haut vol et d’un prestige inouï. Cette martre était une fameuse tueuse d’écureuils. Il faut préciser qu’il s’agissait d’un mâle particulièrement agile et coursant ses proies avec une joie indescriptible. Il en aimait le goût de la chair et du sang, laissant leur peau aux charognards piétons des feuilles mortes et des myrtilles.

« Parfois, une dame, aux bas de soie verts, est assise sur une ânesse blanche » et la tête de l’ânesse est coiffée d’un joli bonnet écarlate à grelots. Dans mon rêve, je n’entends pas le son des clochettes. Parfois, la dame est voilée et parfois, le visage radieux, elle chante en riant et je tente de comprendre ses paroles mais je ne connais pas le wolof et j’enrage de ne pouvoir engager une conversation charmante et spirituelle et leste et légère, l’invitant par exemple à m’aider à écosser les pois, à battre le pois chiche bien mûr, à prendre le thé en pyjama ou le cidre en pantalon de laine ou le vin en cave ou l’absinthe en montagne. Et le rêve s’évapore de cette incapacité à pratiquer cette langue.

« En vérité, on croirait voir les doigts effilés et les manchettes éteintes de quelque marquise sortir des burnous de ce vieux détrousseur . » Au lieu de se poser sur le rubis, sa main, ayant effleuré la robe de lin blanc, s’y attarda, tâta la robuste chaîne, la trame fine, le fil d’un beau brin, brin de fille sous son masque, un brin de tabac, caressant le tissu qui avait couvert le corps de la baigneuse.

« Il eut la tentation de poser son visage sur la robe et d’en respirer l’odeur, mais la timidité l’en retint. » (ici, belles possibilités de poursuivre plus tard)

« Pour courir mieux, ils ont relevé, dans une lanière de cuir qui leur serre les reins, les deux pans de leur robe bleue, mettant à nu leurs cuisses longues et musclées. » Courant, on dirait des lièvres et, sautant, des cabris. La course à la marmotte était ce qu’ils avaient trouvé de mieux pour s’exercer. Ils aimaient alterner, pour garder la forme en cette période lugubre, des exercices en plaine, en zone désertique et en montagne. Le gibier devait être pris vivant, à la course et relâché avec des excuses humbles et pondérées. On relâchait des gazelles soigneusement installées après capture, pieds et poings liés, dans de vastes paniers en papyrus ouatés de coton ou de bourre de peupliers. Aux meilleurs coureurs était offert un cheval robuste ou une paire de mules ou quatre ânes dont une magnifique ânesse blanche que souvent les champions offraient qui à leur sœur préférée, qui à leur mère adorée ou à la plus nerveuse des passantes, à la plus rieuse des masquées, à la plus souple des lianes…

« Leurs maîtresses portent des tuniques de soie brochées d’or, atténuées sous des tulles brodés ; elles sont des institutrices joyeuses toujours enclines à la plaisanterie. Elles sont encore si jeunes, pour ne pas dire infantiles, jouant avec la même passion que les enfants. Et dans le filet du tulle de Tulle se prend une punaise des bois, une vanesse, un paon ou quelques coccinelles…

L’enfant « est attifé d’une robe jonquille, atténuée d’un surplis de gaze blanche ». Sa mère pose la main droite sur son épaule et l’enfant chante, disons qu’il muse plutôt qu’il ne chante, et muse un air monocorde qui berce ou qui irrite…

« Elles portaient des escarpins, des bas de fil blanc, des jupes brodées en forme de corolle » et sur la tête une tiare, une mitre, un petit calot, un bonnet de laine ou une casquette de toile couverte de fiente de pigeon. Mai, le joli mai brillait de lumière argentée, mai le joli mai aux confins des abîmes confinés en camps et en taudis. Elles portaient des bas de fil blanc sur l’herbe desséchée, et leurs jupes en corolle en vélo ou en barquette sur la Seine. Et sur la tête, cette mitre en forme de cage à colibris…

Le fil blanc des couturières, le fil noir de l’encre. A cette cadence insensée au milieu d’un dimanche au confinement. La France confine à la Belgique par plus d’une région. La région du cœur est la seule qui m’importe et le tissu pulmonaire et glandulaire je l’élève au rang supérieur. Tout est pneuma, pneumatologique, écologique et ontologique. A la cadence de six machines à coudre maîtrisées par six couturières habiles, la vie va, fil blanc et fil noir, la vie s’étire et tue le temps. Ma mère coud près de moi et, de temps à autre, elle soupire de sa voix rauque, légèrement voilée. Aimait-elle coudre ? Encore aujourd’hui, je ne le sais pas mais le devine. Des brins de fil noir à ses lèvres, ça j’en réponds. Le fil tissé est un support à porter en pagne, jupe, vaste robe des champs, des escaliers de la butte, des maisons de rendez-vous perchées au-dessus du grand marché près de la rue de Clignancourt. Fil blanc de la couture et fil noir de l’écriture.

Dehors, le silence est rompu. Mais, à l’intérieur, dans la salle à manger, l’humble couturière est à l’ouvrage, elle coud et recoud, recousant les poumons quand le foie se déchire, recousant la peau quand se déchire la plèvre, recousant les glandes sécrétrices à l’aide du fil infini d’une longue phrase physiologique conduite par une aiguille acérée…


Citations comme propositions d’écriture.

« Sur un vêtement sans doublure, de damas blanc, elle a passé un vêtement de dessus fait d’une légère étoffe violette »

« En été, j’aime les pantalons violets. Au plus fort de la chaleur, les pantalons auxquels on a donné la couleur des insectes de l’été ont un aspect frais »

« Pour les vêtements des hommes, toutes les couleurs sont belles »

« Si la couleur du vêtement non doublé que l’on porte est jaunie, c’est tout à fait déplaisant »

« J’aime le rouge, la couleur glycine. En été, je préfère le violet ; en automne, la teinte …˜lande desséché’ »

« J’aime les jupes sur lesquelles sont dessinés les coraux de la mer » 

6 janvier 2021
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