Pierre Senges | Encyclopédies
Patrick Pleutin (dessinateur, peintre sur toutes les surfaces imaginables, plasticien multiple, designer graphique, et en plus de ça professeur) a accepté d’accueillir cette résidence, jusqu’en juin 2020, de l’accompagner et même de lui apporter un surcroît d’énergie (l’auteur en résidence, plutôt placide, gagnerait à s’inspirer du plasticien habitué aux performances).
Il y a quelques mois, un concert-fiction initié par Radio France et l’Orchestre National de France avait été le point de départ d’une première collaboration : une vingtaine d’étudiants avaient alors conçu les décors (numériques, animés, projetés sur l’auditorium boisé de la maison de la radio) d’un conte écrit d’après plusieurs pièces de Claude Debussy. Plus tard, ils ont imaginé à quoi pourrait ressembler le disque.
À l’occasion de cette résidence, il fallait trouver un terrain en partage, combinant l’écriture et l’image : ça aurait pu être la bande dessinée ou le Catalogue de la Manufacture des armes et cycles de Saint-Étienne, on a préféré l’encyclopédie, pour diverses raisons :
1. la bibliothèque de l’école Estienne possède de superbes et pesants originaux de l’Encyclopédie Diderot d’Alembert
2. l’esprit des Lumières, par les temps fumeux qui courent, est toujours bon à prendre (et ce malgré toutes les réserves qu’on est en droit d’avoir)
3. on trouve dans l’Encyclopédie un article consacré au chatouillement
4. la forme encyclopédique comme une mosaïque autorise l’assemblage de plusieurs textes ou images, offre l’hospitalité à l’hétéroclite et donc permet aisément la collaboration d’un nombre x d’auteurs
5. la forme encyclopédique, devenu un genre littéraire, est l’un des meilleurs véhicules de l’imaginaire, depuis Borges, Queneau, Pavic jusqu’à (au moins) Frédéric Werst ou Clémentine Mélois.
Quelques lycées partenaires contribueront, avec l’école Estienne, à la création d’une vaste, multiforme et à jamais inachevée encyclopédie imaginaire, grâce à l’engagement de plusieurs professeures de français et de responsables de CDI : les lycées Corvisart et Jacques-Decour à Paris, le lycée Joliot-Curie à Dammarie-les-Lys.
En attendant la suite, et histoire de mettre les lecteurs en appétit, voici quelques échantillons de travaux liminaires effectués par les lycéens de seconde du lycée Joliot-Curie. Rozenn Bouglet, leur professeure, a entièrement mené à bien ces ateliers d’écriture :
Et si pour cette histoire on entrait dans une bibliothèque sombre et insalubre ? Non, trop commun. Pourquoi ne pas plutôt lui donner un air jovial, heureux, un lieu rempli de joie et d’amour ? Trop de bonheur, c’est écœurant. Il me vient une idée, si ma bibliothèque était un labyrinthe de livres avec en son centre une bibliothécaire. Non ! UN bibliothécaire. Le portrait de la bibliothécaire ridée sentant la poussière des étagères et dès qu’on l’aperçoit : il nous vient qu’une envie : se pendre. Non merci ! Pour un labyrinthe de bouquins il me faudrait quelqu’un qui connaisse les lieux, qui n’ait pas peur de se perdre et qui ne soit pas ordinaire. Mais oui mais c’est bien sûr ! Le minotaure ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Cet homme-taureau imposant, poilu et tout en muscles pesant approximativement 200 kilos.
Océane Paviot
L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque) est composé d’une seule et même pièce, aussi énorme et remplie, que personne ne connaît ni son commencement, ni sa fin. La bibliothèque est impressionnante, presque irréaliste, comme figé dans le temps mais aussi semblant venir d’une autre époque, encore inconnue aux yeux des hommes. Cette impression est décuplée en voyant les différentes tables éparpillées un peu partout. D’un bois très ancien, presque millénaire, mais où l’on peut voir exposés sur les tables, différents moteurs de recherches holographiques qui permettent à l’aide d’un titre ou de mots clés, de savoir où est précisément rangé le livre dont on a besoin. Et impossible de ne pas trouver, cette bibliothèque contient tous les livres publiés depuis l’existence même des livres. La bibliothèque n’a pas d’ampoules. Ni encore de fenêtres ou quoi que ce soit. La lumière semble juste venir de partout et de nulle part à la fois. C’est fantastique. Presque magique.
Précieuse Kingo Vunda
Pour écrire en prenant le taureau par les cornes, il faut tout d’abord aller en Espagne, participer à une corrida, prendre une feuille à la place d’une cape rouge, monter sur le taureau, l’attraper par les cornes et, en espérant qu’il se calme, écrire.
Kilyan Ledron
Pour écrire un pavé, il faut tout d’abord trouver un pavé. On peut en trouver dans un coin de rue ou pour l’occasion en acheter un tout propre et neuf dans n’importe quel magasin de bricolage. Ensuite, une fois le pavé en main, il faut le tremper dans un seau d’encre. Il faut que la base du pavé soit complètement couverte d’encre. Après cela, prendre une feuille blanche de préférence grand format et tamponnez le pavé sur la feuille. Et voilà vous avez écrit un pavé.
Helin Kukucu
Pour écrire en s’arrachant les cheveux, il faut en avoir : qu’ils soient fins, épais, gras ou secs, longs ou courts, tant que vous en avez cela fonctionne. Ensuite, il faut se perdre sans ses écrits au point d’en devenir fou, ainsi vous vous arracherez les cheveux – à moins qu’ils ne tombent d’eux-mêmes, bien sûr.
Gabriel Billard