Pourquoi aurais-je survécu ?
Avant d’entrer dans le mini-amphi, j’ai en tête Edith Bruck, l’une des dernières survivantes de la Shoah. Elle était l’amie de Primo Levi, elle se souvient qu’il disait qu’après, personne ne voulait entendre le récit d’un « ex-épouvantail en haillons zébrés ». Edith Bruck « éclatait de mots », mais ses proches lui disaient : « N’apporte pas Auschwitz à la maison. Personne n’a voulu m’entendre. Alors, j’ai décidé de parler au papier. Le papier écoute tout. »
Voilà.
Sur le campus d’HEC, l’association littéraire découvre des talents, publie des textes, je me glisse pour trois ateliers dans leur espace créatif et suggère, face aux haïsseurs, aux mystificateurs, aux négationnistes « d’user » les mots pour conjurer la disparition inéluctable des témoins. La mémoire irréfragable de la Shoah, à mon sens, ne doit pas craindre une « confusion », les risques d’équivalence, l’affaiblissement d’une dimension exceptionnelle (Malraux parle de Mal éternel), c’est pourquoi j’incite mon groupe à puiser dans son histoire familiale pour se lancer.
Camille reste sur la vision du fichier juif du Mémorial pour imaginer un dialogue avec un enfant raflé de cinq ans, Kevin se souvient de son oncle vietnamien au musée de Saïgon autant que de son cousin né malformé par l’agent orange, Irène ressuscite les corps disparus de Franco, Dauphine le génocide arménien, Leo le bourreau d’une femme tondue, David choisit Anselm Kiefer…
D’autres nous rejoignent, tous en miroir d’Edith Bruck qui écrit dans Pourquoi aurais-je survécu ? :
« Quand viendra mon heure / je laisserai en héritage / peut-être un écho à l’homme/ qui oublie et continue et recommence. »