première page
Il ne m’est pas évident d’écrire sur un travail en cours, un texte qui s’invente. Je m’y essaye mais chaque fois je bute – je n’ai jamais, jamais travaillé à partir de plans, de structures, de schémas- je ne sais jamais, jamais où un texte va m’amener. Le texte est comme toujours à côté de moi, dans quelque lieu parallèle, il sillonne, avance, trace son propre chemin qui est souvent silencieux. Je veux dire qu’il travaille en sous-main à mon insu, et doucement invente sa langue à partir de toutes les langues au milieu desquelles il se forge – et il y en a tant, là, dans la ville. Dans la ville où je suis revenue cette année après l’avoir quittée un temps, après l’avoir fuie et avoir découvert ce qu’était le silence : combien il était précieux et combien il était cruel. Et qu’on ne peut rien lui cacher. Ici, ici c’est si différent, je l’avais presque oublié. Moi qui pourtant n’avais longtemps connu, et aimé que cela : l’agitation vorace, chronophage et bruyante de la ville. La ville, la campagne, on sait bien ce que cette opposition charrie de mystifications, on sait bien que ce n’est pas si simple qu’on se le représente. Mais il y a tout de même quelque chose qui s’y joue et c’est cela que j’explore cette année, dans ce texte qui chemine. Que nous fait la ville quand on y grandit ? Que fait-elle de nous ? Comment cet environnement est devenu pour nous, naturel, absolu, inquestionné ? C’est toujours quand on part des lieux qu’on se met à les voir, bien sûr. C’est quand je suis partie que j’ai commencé à voir la ville, Paris, dans toute sa splendeur et sa misère, dans toute sa folie. Revenue il y a beaucoup de choses que j’essaye de comprendre, il y a : d’où elle vient cette ville, de quelle force bâtisseuse accumulée depuis la nuit de temps, de quels fantasmes et de quels rêves, quels idéaux, quelles ruptures et quelles accélérations l’ont constituée, telle, où elle va, vers quelles désillusions et quels désastres. La ville change hélas plus vite que le cœur d’une femme et de cela je crois, on s’est toujours plaint mais tout de même. Ces changements je crois qu’il est bon, de les consigner un peu, non pas dans leurs manifestations éclatantes et je ne parlerai pas de ces bâtiments vains érigés dans la hâte d’une compétition internationale qui n’a rien à voir avec le fait de, vivre ici et qui le rendra un temps impossible, et qui, l’écorchera pour longtemps, je parlerai de la répercussion de ces constructions dans le cœur – de la tristesse, de la rationalité et de la solitude qui envahissent et rongent le cœur des vivants en ville.