Prendre suint - 1

Suint, la graisse que sécrète la peau du mouton, et qui se mélange à la laine. Le suint est le dernier territoire de la chair vive, d’emblée basculé dans l’existence technique du cérémonial humain. On fait les poèmes aussi avec des cliquets et des brefs d’armure. La poésie se tient à cheval entre l’animal et la parole. Nous écrivons avec les animaux que nous serons capables de devenir. Suinter, c’est ruisseler, dégoutter, pleurer. Les plaies suintent, et les murs. Ce qui suinte enferme un secret dont l’écoulement, l’éboulement de la langue a la garde. Seul il peut en prendre soin en son don et son désistement.


I



La primatiale de l’estran
nous la remontons
les bras chargés de la pêche d’un autre jour
Nous
les porteurs de mucus

Dans les casemates en béton, notre langue appauvrie prend des intonations de pruine. Les mots sont toujours en retrait de leur sens. Néanmoins,

le tin est le visage de la marée sans phare
Ainsi parle-t-on chez les épouses des caréneurs,
entre la respiration et la malice.



Le poète est de tête préposée aux matières molles
hampe de la mer pour des êtres monticoles

Avec – devant – l’épaisseur de la plaine, et la neige sur le sable qui est la prose de nos villes communes, de notre odeur d’insectes, de nos claveaux de brûlure…



Dissimulée par la longère
la carcasse de voiture montée sur parpaings
est un mot comme un autre
Des perdrix y élurent leur tabernacle
qui grattent la rouille de leur bec sourd

Fameusement donne le vent dans l’abjuration des relances. De quoi la mer est-elle la diplomatie ? De quel enfant remplir le seau pour faire des méduses échouées dans le jusant l’énigme correcte des postures techniques ?



II



Longtemps
j’eus crispé ton regard
dans l’arrêt sur usage
appuyant toutes mes mains
là où les rides se recouvrent de peau
avant que tu brosses tes cheveux
à califourchon sur les limaces




C’est un peu de pain que tu donnes,
des habits propres pour la meute.

N’aie crainte
que les fleurs mutilent la joie
avant de rejoindre tes dents.



III



– Le poète est un animal de trait

Dans son dos
tournillent les mouches en un ouvroir
de joues claires
lettres furtives
illisibles dont le vol est la

ponctuation.

À chaque pas il écrase
les carcasses sucées de minuscules araignées
mortes
sous le plafonnier des pissenlits et des trèfles




Nous avons sur le visage de nombreux trous, où nous remisons toutes sortes d’objets dans la reformulation des châles. Combien d’entre eux as-tu comblés pour être lue, si c’est ton sourire encore dans la cheminée, omis, maîtrisé ? La poésie n’est que le débit de ce qui presse. Le dépit de ce qui pressent. Nous n’écrivons que parce que nous sommes percés

de part en part
que nous sommes des molécules sensitives



L’un contre l’autre, nous adoptons la vie de biefs. Hiémale autant que faire se peut. Ce serment ne sera pas retenu contre nous dans les moraines.

4 avril 2023
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