Renaud Buénerd | Suite bolonaise, 1er janvier 2023

On s’installe ici, pour preuve, cela fait trois jours maintenant que l’on y dort. Ce matin, j’ouvre les yeux sur le carré de ciel au-dessus du lit, c’est lui qui me donne en premier une idée de l’heure qu’il est, du temps qu’il fait. Aujourd’hui, il montre un jour complètement dénué de repères, juste une lumière pâle et plate. Je pourrais croire si je n’en avais pas l’expérience à une applique d’opaline. Je ne sais pas s’il est gris, s’il est bleu, il est laiteux comme entre les deux, je sais juste que le jour a commencé et je me souviens que c’est le premier. Tout est silencieux, les auguri, les feux d’artifices de la nuit se sont éteints. Je suis allongé les yeux ouverts, rien ne bouge et je regarde par la fenêtre. Dans ce grand dénuement, un événement arrive, une grosse goutte d’eau apparaît en haut du carreau, sans qu’il n’y ait aucun signe de pluie. Etonné par ce mystère, je m’y accroche. Avec patience je la regarde qui avance. Sa course est infiniment lente, ce sera là ma première action de l’année ; suivre le mouvement imperceptible d’une larme versée par dieu sait qui sur la joue sans couleur du ciel. — Il y avait une très grande ivresse dans cette marche silencieuse [1] — Et sans jamais renoncer je vais suivre sa course désespérément rectiligne, je vais rester couché, immobile et attentif. J’imagine un moment que derrière le voile des nuages, il y a des oiseaux qui s’envolent des avions qui dessinent de longs filets, des étoiles invisibles et pourquoi pas la lune. Pourtant il n’y avait rien, tout était immobile, blanc et nu mais cet égarement momentané, a fait glisser un long instant, une chose terrible est advenue, la larme à la fin de son inexorable course s’est immobilisée un peu avant de rejoindre le bord du cadre où elle aurait dû disparaître. Elle ne bouge plus, elle est comme morte, comme une altération dans la platitude du verre. Le temps, c’est certain, s’est arrêté. Je peux me rendormir.
[1] Jean giono, Les âmes fortes.