Scardanelli, de Friederike Mayröcker

Friederike Mayröcker, Scardanelli, traduction Lucie Taïeb, Atelier de l’Agneau, 2017, 81 p., 17 €

Lucie Taïeb sur remue.
Friederike Mayröcker sur remue.
Bruno Fern sur remue.


Lucie Taïeb, par ailleurs auteure [1], s’est lancée une nouvelle fois dans la traduction d’un ouvrage de l’une des plus importantes représentantes de la littérature contemporaine de langue allemande [2].

Le titre est le nom énigmatique sous lequel Hölderlin signa ses poèmes de 1839 à sa mort [3], soit dans une période dite de la folie. Tous les textes sont datés (du 06/06/89 au 05/09/08) et on trouve évidemment dans ce journal intime atypique de multiples éléments liés à Hölderlin / Scardanelli, ces jeux d’échos étant mis en relief dans la postface de Marcel Beyer : il en est ainsi des fleurs (tout particulièrement les violettes) dont sont évoquées non seulement les qualités visuelles et olfactives mais aussi les vertus médicinales (auxquelles Hölderlin eut recours) et, au-delà, d’une nature qui redonne des forces autant qu’elle rend sensible la solitude :

« tandis qu’à tâtons sur la p. colline pierreuse en pleurs vers / la vallée et les sauterelles libellules et jeunes lièvres me re- / gardent, échos grondants à l’intérieur de ma tête »

Cela dit, dans ces textes qui entremêlent pensées et sensations en oscillant entre vers et prose, ces fils hölderliniens ne sont pas les seuls à suivre puisqu’on peut en distinguer au moins trois autres qui entretiennent des relations étroites avec le premier. Tout d’abord, celui qui se rapporte à Ernst Jandl [4], compagnon de l’auteure décédé en 2000, dont l’absence est soulignée dès le deuxième poème :

« m’effraie parfois de ce que celui à qui je / parle n’est pas là » Sa présence désormais silencieuse se retrouve dans la plupart des autres textes car « partout je t’épousais ».

En lien avec ce deuil que l’on pourrait rapprocher du dédoublement vécu par Hölderlin, on relèvera ce qui a trait au passage du temps, des souvenirs d’enfance aux fréquentes allusions à la vieillesse : « La fenêtre de la cuisine est ouverte mon cerveau / dans les rotules, respire difficilement », « (mais ils se disloquent mes os.) » ou bien encore « suis désormais inapte à la vie », sachant que des va-et-vient s’instaurent entre le passé et le présent, ainsi que l’illustrent, par exemple, ces deux fragments séparés par quelques lignes dans le même poème : « tandis que le lilas ondulait […] tandis que le lilas ondule » Un deuxième axe tient aux très nombreuses œuvres citées et parfois subtilement reprises, aussi bien musicales (de John Dowland à Penderecki en passant par Brahms, Billie Holiday et Jimi Hendrix) que picturales (Vélazquez, Picasso, etc.) et littéraires – Pétrarque, Durs Grünbein, Ponge, Duras, Joyce, Czernin ou John Updike dont l’œuvre poétique est malheureusement trop peu connue. Enfin, on remarquera tout ce que Friederike Mayröcker dit de son activité d’écrivain qui est vitale pour elle :

« Nous nous en tenons à l’écriture car nous n’avons pas d’autre garde-corps »


Bruno Fern


26 février 2018
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[1Dernier ouvrage paru : depuis Distance, Lanskine, 2017.

[2Chez le même éditeur : CRUELLEMENT là, en 2014 : cf. remue.net : CRUELLEMENT là, de Friederike Mayröcker

[4Lui aussi auteur autrichien majeur – voir, entre autres : groite et dauche, traduit par Lucie Taïeb, Atelier de l’Agneau, 2011 et Retour à l’envoyeur, traduit par Alain Jadot et Christian Prigent, grmx éditions, 2012.