Sur les quatre premiers mois de résidence
Défi.
C’est le premier mot qui me vient à l’esprit.
Avec un s, car ils sont nombreux, les défis en cette année 2023.
Ça commence par un jour, une semaine, des mois de grève, manifs, non à la retraite à 64 ans.
Emploi du temps sans cesse modifié, un train qui circule sur deux, ça, c’est fait !
(Check comme disent les jeunes – quoique cette expression soit peut-être / sûrement déjà ringarde.)
Les jeunes justement : des ados de première et de terminale qui me rappellent mes propres années de lycée. Le bouillonnement intérieur, la timidité, la mauvaise foi mais aussi et surtout l’énergie, les rires, les échanges parfois musclés…
Rien ne change vraiment…
Sauf les écrans.
Smartphones dissimulés sous les tables, confisqués, rendus puis reconfisqués…
(Le défi de se faire respecter, de tenir tête à la technologie, toujours plus forte, plus présente.)
Moi qui ai grandi, étudié, vécu la moitié de mon existence sans internet et à une époque où les premiers portables étaient aussi discrets que des talkies-walkies : l’impression étrange d’être entré dans la quatrième dimension.
Ça tombe bien : avant les vacances on a regardé Black Mirror, série culte d’anticipation. Dans l’épisode intitulé « Chute Libre », l’existence est régie par un système de note. La « tripadvisorisation » à l’extrême. À moins de 4,6 sur 5, difficile, voire impossible de se loger, de se soigner, de se déplacer… Tiens, tiens, ça ne leur rappellerait pas quelque chose ?
(Le défi de leur faire entendre raison, de leur prouver à quel point ils sont les esclaves des algorithmes.)
Dans quelques jours nous allons organiser une visite à la Cité de la science et de l’industrie où il sera beaucoup question de robots et d’IA.
Alors évidemment nos jeunes trépignent d’impatience.
Pour une fois que je ne les obligerai pas à écrire !
(Le défi de leur rappeler qu’un atelier d’écriture est un endroit où l’on écrit. De ne pas perdre son sens de l’humour et du travail.)
Lol
(Expression très en vogue en ces temps de grève.)
Oui je force ces pauvres jeunes gens à écrire.
Et je me force, moi, à changer de méthode.
On ne peut pas se reposer sur ses lauriers, jouer les écrivains débarquant en terrain conquis avec dans sa besace les mêmes recettes.
Le défi de revenir à l’essence même des ateliers, tels qu’ils ont été pensés après 68 en France : démocratiser l’écriture (le langage appartient à toutes et à tous !) à travers des consignes soigneusement élaborées, ludiques, stimulantes intellectuellement. Précédés parfois d’exercices d’échauffement (questionnaires, quizz, portraits chinois décalés) pour mieux captiver cette jeunesse en mal de concentration. Bon, au risque de passer pour un vieux c***, j’avoue que les portables n’arrangent rien à notre affaire.
Le défi de se renouveler, de rester pédagogue sans jouer les profs.
Pas facile mais passionnant.
En 2020 lors de ma précédente résidence, les écrans nous ont sauvés grâce aux ateliers en distanciel…
Aujourd’hui je m’en méfie comme de la peste, des écrans, surtout dans un atelier qui tourne autour de la Science-Fiction.
Heureusement qu’en SF les thématiques sont inépuisables : ville futuriste, planète lointaine, sangsue géante tombée du cosmos, voyage sur Mars, intelligence artificielle, apocalypse climatique !
Les élèves n’ont pas chômé.
Et à mi-parcours, malgré tous ces défis, les textes s’accumulent et d’ici décembre, ils formeront un cadavre (délicieusement) exquis.
Celui d’un nouveau monde imaginé par des adolescents d’aujourd’hui certes hyper connectés mais qui, à partir de onze heures, ont faim, sommeil et fixent l’horloge murale avec convoitise.
Certains réflexes ne changeront jamais.
Me voilà rassuré !
Liens
http://www.lyc-violletleduc.ac-versailles.fr/spip.php?article856
http://www.lyc-violletleduc.ac-versailles.fr/spip.php?article857
http://www.lyc-violletleduc.ac-versailles.fr/spip.php?article849