Sylvain Jamet | Beaux gestes noirs
Photographie : Azzedine Allaoui
Sport
Nous sommes cinq dans l’équipe. Non
nous sommes quatre
Nous sommes trois à présent et nous perdons
L’un rentre. Un autre sort
Le terrain est délimité par quatre poteaux
Il n’y a pas de but, cependant
nous faisons de beaux gestes
Il semblerait que nous ayons une chance
L’arbitre est de notre côté cela peut suffire
À la centième minute il n’y a plus d’arbitre
Mystérieusement, nous perdons
Cessez-le-feu
Lorsque le feu cessa
les flammes retournèrent d’où elles étaient venues
et le pays redevint le même
Lorsqu’il cessa les pompiers se rassirent
les morts se rassirent
On compta les brûlés qui ne l’étaient plus
Sorte de
Un fil sortait du père – vous tiriez sur le fil
et le père entier venait
C’était une sorte de père
Il rentrait tard le soir
et laissait le fil se dérouler dans vos mains
C’était des sortes de mains
qui travaillaient le soir sans comprendre
tirant un père à elles pour en tisser un autre
dans une sorte d’enfance dont
vous ne sortiez pas
Vent
Nous détestons le vent pour ce qu’il brise
Une fois, c’était un jour de rafales
il renversa une vieille
Nous relevâmes la vieille. Le vent poussa à nouveau
et la vieille se brisa. On mit la vieille dans un sac
Les autres fois ce fut plus doux
Le vent allait doucement, reliait les gens entre eux
des points entre eux
Le vent traversait la tête des gens
Le cœur des gens
Différentes zones de silence
La vieille traversée comme les autres
mais jamais au point de se rompre
Bonne aventure
Il
y a beaucoup
de choses à lire
aussi
sur le dos des mains
Disparus
Nous étions morts pour ainsi dire
par soustraction
n’ayant jamais fini de perdre
perdre
perdre
une partie de nous-mêmes retranchée
après l’autre
une femme
un fils
avec à peine assez de corps à la fin
ou de regrets pour disparaître
Lettre
Cher absent
par définition
je ne t’ai trouvé nulle part
Il serait excessif d’affirmer que tu me manques
dans la mesure où rien de toi ne m’est jamais parvenu
Ton allure sans doute me serait familière
si je te rencontrais
mais tu restes prudemment retranché
(obstinément devrais-je dire)
dans la partie du monde où patientent les choses qui ne sont pas
Aimes-tu la vie, même de loin ?
M’aimes-tu ?
As-tu le sens de l’humour ?
Il y a un mais ou un peut-être
dans chacune des phrases que tu ne prononces pas
Une réticence à naître que je ne peux m’expliquer
même après tant d’années
Où veux-tu en venir avec ton grand silence ?
Tes grands yeux vides ?
À qui, à la fin
crois-tu parler ?
Un aveu
Je ne suis pas
un rêveur
Dire est trop peu
Les morts le restent et
il n’y a rien
que je puisse
faire