Une porte après l’autre après l’autre

"La phrase qui commence ignore / quel est son but", Pierre Dhainaut


En trois suites de poèmes brefs, conçues comme autant de portes qui s’entrouvrent pour laisser ànouveau entrer la lumière dans une vie qui en fut un temps privée, Pierre Dhainaut évoque àsa manière, avec la discrétion qui est la sienne, l’accident de santé qui l’a récemment précipité au bord du vide et ce qui s’en est suivi. Le cÅ“ur a lâché. Et a dà» être réparer. Avec ce que cela implique pour l’ensemble du corps. Qui ne peut qu’en être plus ou moins durement affecté.

« Â Beaucoup de neige
en la mémoire,
les paumes
désertes,
le front brà»lant.

Personne
au-dehors,
au-dedans,
puis de nouveau
dehors.  »

Il revient sur ces moments passés, " àla merci du cÅ“ur ", dans un espace blanc et restreint, en notant que la peur s’était évaporée, que le souffle manquait mais que la respiration cherchait àpénétrer dans cet « Â océan / sous le masque àoxygène  ».

La deuxième partie, nommée " verticales d’instants ", se présente tels des rais de lumière qui épousent la verticalité de la page et qui l’aident àredécouvrir ce qui l’entoure. Il se tient àl’écoute des choses simples, des bruits du quotidien, des odeurs, des regards et les reçoit avec d’autant plus de plaisir qu’il a failli ne jamais plus goà»ter àces offrandes naturelles.

« Â Aimer
le mot
poussière
jusqu’à
l’offrir
de la voix
au vent
d’ouest.

Ne rien
ajouter,
ne rien
effacer,
la buée
seule
découvre
une route.  »

Cette simplicité en forme d’évidence, où sagesse et humilité sont de mise, on la découvre, tout aussi clairvoyante, dans la troisième séquence du recueil, ce " lexique retrouvé " qui s’apparente àune réappropriation des mots. C’est une rééducation singulière. Tous ont une odeur, une couleur, un passé, une charge émotionnelle, un physique particulier et un attrait différent. Le poète Pierre Dhainaut les côtoie depuis longtemps, sans doute bien avant la parution de son premier livre, Le poème commencé (Mercure de France, 1969). C’est donc un long compagnonnage qui a été brusquement interrompu et le rabibochage ne peut s’effectuer qu’avec lenteur. Mot àmot. Poème après poème. Peu àpeu, les affinités réapparaissent tandis que le naturel reprend son cours.

« Â Ã‰mouvoir les pierres,
en ramasser une,
soigneusement
y inscrire
le nom "pierre".  »

Il se tient, pour finir, au plus près des éléments. Debout, en vie au milieu des autres. Heureux d’être toujours présent au monde. Et de poursuivre sa route.

« Â Nous publierions un poème
comme on plante un arbre
sur la berge d’un fleuve, nous aurions plusieurs vies
pour l’accomplir, toucher terre
dans l’élan, incarner, rayonner,
continuer...  


Pierre Dhainaut : Une porte après l’autre après l’autre, éditions Faï fioc

Jacques Josse

9 juin 2020
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