Jérôme Gontier, quatrième extrait de Continuez

Le premier extrait de Continuez est ici, le deuxième ici, le troisième ici. Voici donc le quatrième extrait. On retrouve Jérôme Gontier lors de la deuxième nuit remue (net). [SR]


Continuez, 1ère partie, ch.2,

[…]

68. (Le curieux est que pendant toutes ces réflexions ou avant ou après je possède encore une fois le choix, cette fois entre trois automates entre lesquels j’alterne de manière assez équilibrée je trouve, je pense selon l’endroit d’où j’arrive en auto puis à pied et mon humeur.

69. – Et le curieux aussi est que ce choix de la station ne va pas non plus sans une certaine joie non pas d’avoir le choix mais d’avoir face à soi cela qui est qu’on n’avait pas prévu mais prend tonitruant comme c’est.

70. – Et le curieux encore, voire le jubilatoire est que je tienne, immobile et debout attendant la sortie de ce que j’hésite à nommer mon extrait mais je crois que c’est ça, à éprouver irrésistiblement le voisinage du cabinet de mon docteur

71. Je veux dire par là qu’il existe un autre automate en vérité que je ne fréquente pas, lui, jamais même s’il m’arrive de le croiser durant mes déambulations quiètes et si je ne le fréquente pas, lui, donc, c’est parce que je le trouve loin, oui, trop loin de la tiédeur du cabinet et que ça me ferait presque peur et froid de m’y arrêter exilé en quelque sorte et c’est curieux, je sais mais c’est ainsi et s’accompagne et se pare voire, donc d’une certaine jubilation y advenant très immanquablement quand je le prends comme c’est.)

72. M’éloignant ensuite de l’appareil je glisse une partie de l’extrait dans une poche, manteau ou pantalon – cela dépend des heures, cela dépend des jours –, plie le reliquat dans mon portefeuille avec ma carte bancaire dont je connais le code par cœur.

73. J’effectue ces gestes d’un air très détaché, comme quelqu’un qui sortant du bureau s’apprête à aller faire une course, j’imagine.

74. Parfois aussi d’ailleurs en effet je vais de ce pas lent acheter un paquet de tabac ou des feuilles à rouler ou le journal ou un briquet ou quoi que ce soit qui coûte afin d’avoir la monnaie exacte tout à l’heure au moment de payer l’exécution de ma parole, ce qui fait que mon air très détaché emprunté à quelqu’un qui sortant du bureau s’apprête à aller faire une course, j’imagine n’est pas totalement joué je trouve – ou c’est que le jeu n’est pas où je le crois je ne sais pas vraiment.

75. (Ce que je sais en revanche est que voir juste ne veut rien dire, je veux dire n’apporte aucun salut, quelque détaché que j’aie l’air, si ne se déploie pas ou ne se déplie pas ma parole dans tous les sens qui ont un sens : la vue ne s’affine que dans la bouche, et la vue que j’ai de moi détaché ou pas mes extraits dans la poche ne se réalise, juste ou pas que dite, point.)

76. Autrefois je lisais le journal le temps qu’il me restait même s’il n’existait pas mais j’avais du mal, vraiment du mal à être physicien dans l’âme alors, et je marchais à pas toujours quiets dans les rues, fixé de l’œil.

77. Mais un jour j’ai trouvé que ce n’était pas très sérieux quand même d’arriver avec lui sous le bras au cabinet alors j’ai arrêté : ce n’était pas très sérieux et en même temps c’était grave, c’est curieux aussi mais c’est aussi ainsi.

78. Mon docteur a remarqué l’effet de ma résolution mais n’a rien dit ou il n’a rien remarqué du tout, c’est probable aussi lorsque je réfléchis un peu, je ne sais pas.

79. Cela ne m’en déplut pas moins toutefois même plus à vrai dire que s’il n’avait sciemment rien dit car s’il n’avait sciemment rien dit, et qu’aurait-il pu dire de toute façon qui n’eût frisé le ridicule : Tiens, vous avez mis le Monde dans votre poche ?

80. Où est donc votre Equipe ?

81. Qu’avez-vous fait de votre Humanité ?

82. Vous avez égaré votre Point de vue ? au moins ce silence médité, têtu et su tel des deux côtés de nous participant en somme d’un jeu eût-il donné crédit même si muet à l’effort par moi consenti pour revêtir les signaux d’une certaine gravité tandis que sinon, dans cet autre cas qui est le plus probable : à savoir qu’il n’a rien remarqué des efforts que j’avais consentis, tout simplement, il me fallait admettre alors que je l’indifférais d’une certaine façon, ce qui était quand même une perspective dure à avaler si ça peut se dire mais aujourd’hui tout cela m’indiffère moi aussi assez voire complètement et aurait même tendance, je dois dire à m’amuser ce qui est un autre signe indubitable je trouve que des choses quelque part bougent et pas seulement le temps et je suis satisfait aussi de ça, depuis le temps et c’est normal je trouve : peut-être est-ce que je m’éloigne de moi ou que je m’en approche ?

83. – Je ne sais pas, puis qui est je de toute manière, et qui est moi n’est-ce pas ?

84. Et où sont-ils ?

85. Et d’où causent-ils ?

86. (Etcetera, bien sûr.)

[…]


Jérôme Gontier, né en 1970. vit et travaille à Rennes. auteur de (ergo sum), éditions al dante, 2002, et d’autres textes en revues. Continuez est à paraître en septembre 2007 aux éditions Léo Scheer. [S. Rongier]

20 juin 2007
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