Au plus près de Franck Venaille

Un essai de François Boddaert salue l’oeuvre de Venaille et dit comment L’Apprenti foudroyé devint Capitaine de l’angoisse animale
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Dès le début, dès son premier livre, dès Papiers d’identité, publié il y a tout juste 40 ans chez l’éditeur P.J. Oswald, Franck Venaille a su trouver le ton pour imposer une voix forte, déchirée, tendue entre réalité sociale, réminiscences d’une enfance "triste et catholique" (il dira plus tard qu’on n’en guérit jamais) et fragments désarticulés de sa propre histoire (marquée, à l’époque, et toujours, par 24 mois de guerre en Algérie).

« Je viens de loin. J’ai vu les villes avec leurs cimetières les morts qui manifestaient moi j’embrassais Bernard sur la bouche dans les chiottes du Canon de la nation je viens de loin avec mon ami Essenine. Les hommes je les ai vus se battre humilier torturer ricaner appeler leurs mères femmes enfants couvées J’ai pris part j’ai manifesté avec ceux de La Havane et d’Alger j’ai vendu l’Huma eu froid peur envie de trahir de me reposer ».

Son identité, il la décline page à page, par poèmes interposés, passant du poing fermé à la main ouverte en prenant des risques et s’en s’offrant, le plus souvent, au regard des autres.

Celui qui, trois ans plus tard, en 1969, frappera tout aussi fort (il titrera à nouveau on ne peut plus juste) en publiant L’Apprenti foudroyé (chez le même éditeur), n’a, depuis, jamais cessé de questionner le grand livre des douleurs et du passé où se trouvent (comme il le note dans Tragique, l’un de ses derniers titres) « le sens de la vie, le balancier entre le bien et le mal, l’aspiration à la sainteté, l’érotisation des souvenirs, le regard froid porté à la maladie, le sens à donner à la souffrance née de la jalousie ».

Sa démarche est celle d’un homme continuellement en mouvement, en marche, arpentant, carnets et textes à l’appui, tant ses villes de prédilection (Paris, Ostende, Trieste, Istanbul) que les oeuvres de quelques auteurs (Saba, Morhange, Pierre-Jean Jouve) auxquels il a décidé de demander bien plus que des écrits. Au final, en connivence, et sans doute aussi pour s’alléger de quelques dettes, il donnera un livre à tous et à toutes, multipliant les repères et mettant, par là même, en position délicate quiconque se hasarderait à interroger un parcours de plus en plus dense... C’est ce à quoi s’attelle aujourd’hui François Boddaert... La tâche n’est pas facile mais il possède, on le remarque au terme d’une quarantaine de pages d’étude et de présentation très pertinentes, quelques longueurs d’avance sur beaucoup d’autres. C’est qu’entre lui et Venaille, il y a plus qu’une relation de lecteur à auteur.

Poète, auteur de Vain tombeau du goût français (La Dragonne, 2001), romancier et essayiste (Petites portes d’éternité - la mort, la gloire et les littérateurs - éd. Hatier, 1993),François Boddaert est également le fondateur des éditions Obsidiane et, à ce titre, éditeur, ces dernières années, de trois livres importants de Franck Venaille (La Descente de l’Escaut, 1995, Tragique, 2001 et Hourra les morts, 2003). Il est, en outre, coéditeur (avec Le Temps qu’il fait) de Capitaine de l’angoisse animale, véritable somme anthologique, 400 pages courant de 1966 à 1997. Cette écriture, il la connait bien. Il la côtoie depuis longtemps. Il retrace ici ce parcours âpre et sinueux. Il crapahute, quand il le faut, dans les ornières de la religion (où l’emmène parfois l’auteur de La Tentation de la sainteté), se retourne un instant du côté des revues Chorus et Monsieur Bloom (toutes deux furent animées par F.V.), évoque brièvement les peintres Klasen et Monory, repère avec lui la présence d’un inévitable cheval dans la brume, rêve alors d’un "profond silence d’écurie" et continue de le suivre, à la trace, des tribunes venteuses et presque désertes du Red Star (son équipe fétiche) jusqu’au lent déroulé de "sable trempé des plages du Nord".

Cet essai, publié dans la collection « poésie » que dirige Zéno Bianu chez Jean-Michel Place, est suivi, dans sa seconde partie, d’un important choix de textes (les derniers, inédits, sont extraits de Chaos, en cours d’écriture). Photos et bibliographie complètent l’ensemble. A situer au plus près de Venaille. Avec qui l’on peut marcher encore un peu plus longuement en se reportant à l’excellent dossier que lui a consacré Le Matricule des Anges dans son n° 37.

29 janvier 2006
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