Avers, de Dominique Quélen
Avers, Dominique Quélen, éditions http://www.louisebottu.com/, avril 2017, 112 pages, 14 €
Bruno Fern sur remue.
Par ailleurs, Dominique Quélen a choisi un fragment d’Isidore Ducasse pour figurer en exergue de la dernière partie du livre : « …puéril revers des choses. » [3] , citation qui en dit long sur sa lucidité à l’égard de sa démarche, loin de tous ceux qui exposent avec complaisance leurs états d’âmes narcissiques – ce qu’Emmanuel Hocquard qualifiait de « plainte individuelle qu’un sujet souffrant, plein de nostalgie (cette forme rampante du ressentiment) pousse devant lui comme le bousier coprophage » [4]..
Enfin, il est probablement permis de lire ce titre en le décomposant : a-vers, c’est-à-dire comme la face inverse, aussi opposée que solidaire (« La prose n’est pas en vers. Et est en vers. ») de cette pratique qu’est la découpe de la dite prose, car une fois encore tout apparaît sous la forme de textes de longueur équivalente (environ une demi page) dont la première mouture était composée de vers soumis à des contraintes d’écriture rendues invisibles à l’oeil du lecteur. Une telle procédure a engendré des phrases en majorité brèves et à la syntaxe fréquemment atypique, qui ressemblent parfois à des aphorismes quelque peu énigmatiques : « Impuissant est ce où n’est pas le langage. »
En trois temps (Oiseaux, Oiseau et Ø, soit au fil d’une disparition élocutoire – le dernier texte commence justement par « Il manque ? N’y reste-t-il ? A-t-il demeuré un peu dans ce chant ? ») et de multiples mouvements internes, se succèdent donc deux cents petites proses où l’on peut relever çà et là les traces diversement évidentes d’autres écrivains : Mallarmé, Musset, Rimbaud, Cadiot, etc. Pour la plupart, ces blocs commencent souvent abruptement (« Dois réparer ! » ou bien « Je. Ric-rac. ») et s’achèvent de même, semblant quelquefois pouvoir s’enchaîner les uns aux autres (par exemple, « Dit-on » suivi de « On = je. ») ou du moins chacun sur lui-même, incitant à une lecture en boucle, puisque s’ouvrant et finissant par le même mot ou son homophone : « Pas possible ! » > « Préconisons d’aller au pas ? » ; « Vers quoi ? » > « La fin de quoi est la fin des vers ? » À ces continuités formelles s’ajoute la reprise incessante des figures quéleniennes : les (drôles d’) oiseaux, le double, le corps dans tous ses états, l’eau idem – et ce en n’hésitant pas à pousser le bouchon jusqu’à l’absurde : « À qui est ce liquide sec ? », le sac, le vide, etc. On retrouve également cette tendance récurrente de l’auteur à commenter sa propre activité, souvent avec un humour noirâtre : « Essai mais échec d’un gros poème dans le goût oiseaux et beauté. Sans déjections. Lac pur. Amour à un plus un. » ou encore : « Le ciel à travers une langue ! À un on la coupe et la mange et mange le corps du poème ou du poète à défaut d’un autre. », histoire de garder suffisamment ses distances avec l’écriture, même si Dominique Quélen sait qu’elle reste ce qui (lui) permet le mieux de tenir, avers et contre tout.
[1] Mais pas celui qui se contente d’imiter, le plus souvent, ce qui se faisait il y a déjà vingt ans.
[2] Éléments de langage, éditions publie.net, 2016. https://www.publie.net/livre/elements-de-langage-dominique-quelen/
[3] « Chanter l’ennui, les douleurs, les tristesses, les mélancolies, la mort, l’ombre, le sombre, etc., c’est ne vouloir, à toute force, regarder que le puéril revers des choses. » (Lettre au banquier Darasse, 1870).
[4] Ma haie, POL, 2001