Bernard Noël & Jacques Clauzel, le sillon des sens
le sillon des sens (fata morgana 2005) regroupe deux poèmes qui ont été composés par Bernard Noël dans la contemplation des œuvres de Jacques Clauzel (note d’éditeur)
Lorsque l’infini présent perce le miroir...
Lorsque toutes les formes ont été écrasées par l’attente, qu’il ne reste plus même le sentiment de la durée, ni celui du récit, rien ne cesse pour autant, il faut vivre encore, vivre ! vivre ! dans la fatigue et le vertige sinon du dehors, du moins de la cassure, de l’éclat ; lorsque l’air n’est plus capable de profondeur, ni le silence de lumière, ni le visage de présence, lorsque le regard est devenu plus dense et cassant que la plus dure des matières, la pensée, soudain, s’affranchit du besoin. Ce qu’elle a demandé son existence durant, le partage, elle l’exige désormais et, devenue le cri, elle perd tout espoir de réponse, triomphant du souci de sa nécessité.
Est-ce le reniement du supplice qui s’amorce, ou déjà son déni, ou peut-être le salut ?
Qui choisit la fracture pour demeure ?
Ce n’est pas seulement de patience et d’intensité ou, autrement dit, d’insistance dont fait preuve la voix de Bernard Noël, mais aussi d’insurrection. Le poème est une révolte, il se soulève dans le monde, se lève contre soi, jusqu’à basculer sur son axe, alors que grandit le mystère de son sujet, de sa raison, de son issue.
Attaque d’un corps déchiré, qui se déchire sur le papier, et hausse une cause perdue, celle de la chair, celle de l’esprit, à hauteur de conquête, malgré la nullité des apparences, lorsque l’oeil tout à coup se brise, et défait la clôture des pas perdus où le secret fait semblant de n’être rien.
la salive éclabousse un mur blanc
la mèche verbale met à feu
la mine des images
massacre en cours de la mémoire
par explosion de tête
la pensée s’exile dans les yeux
chacun s’en va de nuit
vers le bout de son corps
un peu de chair sur les talons
image : Jacques Clauzel, Pointes sèches, sélection 2005 février