Blanche étincelle

Parution du troisième roman de Lucien Suel.


Si, dans le précédent roman de Lucien Suel, passé et présent douloureux s’entrecroisaient fréquemment pour dérouler au mieux l’histoire tourmentée de Mauricette Beaussart – personnage littéraire qui a eu, par ailleurs, une vie autonome (tenant un blog, éditant ses  Lettres de l’asile aux éditions de Garenne), cette fois la part belle est faite au quotidien apaisé (2010 / 2011) de celle qui semble avoir définitivement tourné la page des séjours répétés en psychiatrie. Elle vit à Wittebecque en compagnie d’un chat, d’un ordinateur et de nombreux livres. Appréciant la solitude tout en se méfiant de l’isolement, on la suit dès ses premiers pas dans cette nouvelle respiration, cette nouvelle ville, en quête de repères et de liens sociaux. Elle sait, d’expérience, que l’on s’en sort rarement seul.

« Je ne suis pas fatiguée. Il aura fallu tout ce temps, ces épreuves, lourdes pierres sur le sentier. Et maintenant reconnaître, comprendre que ma rébellion dissimulée contre le sort, la fatalité, le destin, Dieu, était aussi une espérance. Je déchiffre dans ce qui arrive la réalisation d’une promesse oubliée, construction de l’unité, fin de l’éternel retour. »

« Ce qui arrive » à Mauricette, c’est la rencontre imprévue, l’étincelle qui se prénomme Blanche et dont elle fait la connaissance dans une librairie à Hazebrouck où toutes deux se sont retrouvées à la même heure, en quête du même livre, L’Habitude d’être, de Flannery O’ Connor... C’est le point de départ d’un roman qui, porté par ce hasard infime, va se déployer, allant d’échanges délicats en partages pudiques, avec de courtes incises dans le passé, et finir par tisser de solides liens d’amitié. La curiosité, l’enthousiasme et le besoin de respirer amplement le temps présent (en ne s’attardant pas sur ses manques, ses imperfections) permettent à ces deux femmes qui appartiennent à deux générations différentes de créer un îlot de résistance dans un territoire austère.

« Les terrils restants sont devenus des bornes du temps, des accents circonflexes dans les champs, les taupinières de l’industrialisation dans un paysage où les plaines agricoles sont semées de pylônes, de châteaux d’eau, rocades et câbles, béton, asphalte et métal. Une pensée pour ceux qui ont travaillé là, leur courage, leur souffrance, leur fierté. Les derniers survivants silicosés, leurs enfants et petits-enfants, souvent au chômage, déplaçant des palettes de cartons dans les plates-formes de distribution, ou expatriés. »

C’est en excluant toute amnésie et en gardant les yeux bien ouverts que Lucien Suel nous invite à suivre Mauricette Beaussart, dont il donne à lire un journal empreint de calme et de bien-être, choses assez rares en littérature et ailleurs pour ne pas les partager avec intensité. Il nous emporte, comme à son habitude, là-bas, dans les Flandres Artésiennes, bifurquant pour nous guider sur des routes tortueuses où circulèrent jadis l’abbé Lemire (le député des jardins ouvriers) Benoît Labre (« le vagabond de Dieu ») ou Germain Nouveau (virant mystique après sa rencontre avec le pèlerin d’Amettes). Il les salue à tour de rôle et continue son périple.

Heureux de savoir la fragile M.B. revenue de l’enfer, il enclenche une petite quatrième et roule à son rythme entre monts et dunes, accompagné au son par Karawane, le poème phonétique du dadaïste Hugo Ball...


Lucien Suel : Blanche étincelle, La Table Ronde.

15 février 2012
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