Catherine Pomparat | Tout, au livre, existe pour aboutir à Ce Livre
[Partie II] Entre les traverses régulièrement espacées (transitions soignées), les cinq parties du livre attendent une montée de lecture (comme on dit une montée de lait). Un tarissement de vers libres transforme en prose d’italiques un établi d’ondulations qui sait faire (savoir-faire) des chambranles de feuillets individués. Pas le moindre guingois dans la cadence de ces strophes. [21] La matière verbale assemblée n’a nul besoin d’être rabotée. Quand un nœud résiste à la cognée, le marteau insiste. L’aplatissement du sens fait effet. Le livre est lu au travers les aspérités de certaines idées. Les parenthèses fournissent du contenu [35], les notions s’appliquent à aplatir les plateformes (elles mettent les pieds dans le plat « serait plus exact ») Entre chaque barreau ligneux (dans ce cas, l’échelle est en bois) les significations ne réfléchissent pas. Elles tournent à la ligne, contournent — et détournent parfois à la lettre, « des agglomérats » [37] qui figurent une action d’écrire. Entre les deux traverses d’un codex numériquement codifié, le sens d’une poétique singulière ouvre l’espace du livre. La « forme qui produit ce sens » [33] ravit ma rêverie langagière la plus inassouvie.
[Partie III] « Indépendamment de ce que disent les mots » [45] la puissance d’impression ressentie par la lecture imprime ma satisfaction jusque dans la scansion. Je tire le faux fil qui gène aux entournures le tracé sans mesure d’une seule couture. Une main négative me donne à regarder comment le texte est fait. Le Coup de Dés est annoncé. Le fil cousu à grands points avec lequel ma lecture faufile fait le fonds du bâti — le bâti est un assemblage pardi ! Je choisis de tout assembler, autant dire mon goût de l’excès. La basse continue d’une pensée entre les langues rétablit les tenons et mortaises de l’établi. — On croit se débarrasser de sa langue maternelle et on n’y arrive jamais ! Au moins peut-on s’obstiner dans l’effort d’essayer. Plus je remonte la mise en page, plus le sens descend à mes pieds. Ce Livre n’en finit pas d’inscrire ce qui n’est pas écrit dans le livre. La typographie excède la lecture et la contrarie. Les graduations de l’espacement du texte électronique graduent mon étonnement à l’écran. La poétique de l’espace est en cours d’évidement. Elle déporte la dérive mallarméenne de l’absent. Je m’accroche à une « forme fixe ».
[Partie IV] Le « séparé on est ensemble » répète son avènement. « La pause se mesure au temps de ma détermination. » Ainsi va dans la séparation Le Nénuphar Blanc. Je flotte sur le mode réfléchissant. Un concerto ostinato fait caisse de résonance et bande-son. Mes divagations sur un livre « vide » me font copier tels les Bouvard et Pécuchet. — On finirait par dire un livre « sur rien » : il-n’arrive-jamais-rien. Le livre-radeau semble dériver au péril de ma traversée. Ce sont les courants de sens qui le guident. Serait-ce une histoire d’exilés ? « Ce livre semble ne parler que de lui-même. » [53] Son propre nom, le voit-on véritablement réduit à néant ? Ce n’est pas la matière des mots qui passent au travers des barreaux mais la manière dont ces montants horizontaux découpent la matière verbale. Le poème produit l’interruption de mon déchiffrement sur chaque barre de position significative dans l’instant présent. Il circonscrit mon émotion art-poétiquement sans dogmes ou sans contrefaçons. Le pouvoir et l’impuissance d’un livre qui ne peut faire que ce qu’il fait c’est Ce Livre qui ne perd jamais — bien au contraire — « l’âme de son sujet ». Bien fait, mal fait, pas fait, le livre est une « prière », une lecture indéfiniment recommencée sans la caution intermédiaire d’une église constituée.
[Partie V] À force de me triturer les livres de la bibliothèque, Ce Livre se met à sauter La Haie impeccable dont l’art topiaire de ma table cartographie pour ainsi dire la visée. Il faut un certain temps pour que le livre qui est Ce Livre esquisse le contour de quelque chose qui n’a pas jamais été lu dans les espaces convenus. De cette configuration sans figure jaillit l’échafaudage d’un labeur continu. Je lis [80] : retour de l’italique, du bas de casse dans un romain de type standard, de strophes en vers libres « de longueur plutôt moyenne / et coïncidant le plus souvent / avec des unités syntagmatiques élémentaires » [81] etc., etc. Les cheminements sont tracés au fur et à mesure que les pierres du chemin sont déterrées. Ce poème voulait un galet et, il ne s’est pas empêtré. Tout en parlant chacune une langue singulière, les cinq parties s’entendent. Cinq « leçons de grammaire » en congruence de différences multiplient leurs nuances interminables. Le mouvement des syntaxes déséquilibre tous les axes de lecture. Mon expérience est une traversée — « traverses », comme on disait… Florilège de tous les livres faits et à faire [diminuendo émotionnel : « Livre contre livre » — comme j’aime Ce Livre !] « Il n’est pas sans rapport avec Poèmes évidents (du même Guy Bennett, traduit du même Frédéric Forte, des mêmes Éditions de l’Attente, paru en 2015) » [cf. dernière de couverture et première de texte [Épigraphe éclairant la nature de ce livre]].