Ce que mon père veut réellement de moi | Eduardo Chirinos
CE QUE MON PÈRE VEUT RÉELLEMENT DE MOI
1-
Cette nuit j’ai fait un rêve. J’accompagnais mon père
sur un chemin de terre. Nous allions tous deux à cheval
et nous parlions à peine. Au loin on distinguait
l’ombre de quelques saules, les lumières d’un village
inconnu et distant. Soudain, mon père arrêta
son cheval et me demanda si je savais où nous allions.
Je l’ignorais. Alors c’est la bonne route, dit-il.
2-
Les chevaux du rêve connaissaient le trajet
de mémoire. Il s’agissait d’abandonner les
rênes, de se laisser porter. Cela me causait un
peu d’appréhension et même un peu de peur.
Mon père, lui, avait l’air très tranquille.
Je pensai : il a l’air tranquille parce qu’il est mort.
3-
C’est ici que je vis, dit-il, comme s’il m’ôtait
un bandeau des yeux. Je vis très peu de choses, sinon
une steppe de pierre, des tourbillons d’arène,
des os de chevaux jaunes. Qu’est-ce que tu en penses ?
Je ne sus que répondre. J’avais soif et un peu
mal à la gorge. C’est un bel endroit, dit-il,
mais parfois j’aimerais rentrer. Pourquoi
ne rentres-tu pas, alors ?, lui demandai-je. Parce qu’il
est plus facile que ce soit toi, qui viennes, dit-il. Et il disparut.
Eduardo Chirinos, est poète, essayiste, traducteur et auteurs de contes pour enfants. Pour l’original de ce texte en espagnol, c’est ici (la belle revue électron libre, qui propose aussi une traduction en arabe et présente notamment de nombreux poètes sud-américains.)
Traduction par Lucie Taïeb.
Stéphane Korvin, poète, écrit, dessine, et photographie, il est l’auteur du dessin illustrant le poème.