Charles Juliet au pays du long nuage blanc

Stéphane Roche a publié sur remue.net plusieurs études sur Charles Juliet.


De son séjour en Nouvelle-Zélande, Charles Juliet nous rapporte la chronique-découverte d’un autre monde, inscrite dans la tradition humaniste du récit de voyage.

En écho à l’expérience d’un Montaigne, ou d’un Nicolas Bouvier, ce Journal des antipodes trouve dans les différents visages de l’altérité (ethnique, géographique, socio-politique) la source d’inspiration de nouveaux questionnements sur l’universalité des existences individuelles. Ainsi, le « pays du long nuage blanc », nom originel donné à la Nouvelle-Zélande par des Maoris au IXe siècle, constitue moins le lieu d’un reportage sur le pittoresque d’un exotisme, que le catalyseur de la permanente exploration intime dont le Journal régulier est le cadre.

Par exemple, plus que les éléments biographiques de la marque laissée par Katherine Mansfield, c’est son rapport à la création que le diariste met en exergue et reprend à son compte, morale qui devrait être celle de tout écrivain : « C’est seulement en étant fidèle à la vie/que je puis être fidèle à l’art/ Et fidélité à l’art signifie/ bonté sincérité simplicité probité ». L’interaction entre ce qui est lui extérieur et sa propre intériorité fonctionne en effet, pour Charles Juliet, comme le régime dominant du discours autobiographique. À cet égard, ces notes se situent dans le droit fil des Carnets de Saorge (P.O.L, 1994), et font une part importante au dialogue avec des personnalités aux destins hors-norme qui, à l’instar de celui qui témoigne de leur parcours, illustrent la notion de résilience.

La multitude des rencontres donne lieu à l’approfondissement des thèmes chers à l’auteur-citoyen, et nourrit sa réflexion concernant l’intégrité de l’humain au sein un monde déshumanisé. La travail de connaissance de soi s’en trouve revitalisé par le contact avec l’étranger, en ce melting-pot de fructueux métissages, lequel amène le sujet à prendre la mesure de ses propres tensions : « Comment trouver la juste distance dans notre rapport à nous-mêmes ? »

Qu’il évoque Katherine Mansfield ou relate les échanges qu’il connaît en compagnie de Fiona Kidman, Vincent O’Sullivan, Chris Laidlaw..., Charles Juliet mêle à l’émotion (individuelle) une réflexion (plus générale) sur le sens d’une vie - de la vie - quand celle-ci se déploie dans le souci d’un accord plénier entre soi et le monde.
Littérature, maladie, rugby, diplomatie, défense des intérêts d’une communauté : même combat en faveur du bien, du beau, du vrai.

C’est cette constante mise en perspective qui confère au texte sa densité et sa force de conviction. Sur le fil du rasoir, en état de grâce ou dans la tourmente, à l’image des paysages décrits, les êtres rencontrés sont l’occasion d’auto-portraits inversés, et procurent au scripteur « une intense jouissance de soi ». La découverte de l’inconnu stimule en cela ce voyage intérieur dont l’écriture est l’horizon toujours renouvelé : « La nécessité d’écrire se confond avec le besoin qu’on a. Besoin de la rechercher. Besoin de l’aiguiser toujours davantage. »

Stéphane Roche

Charles Juliet, Au pays du long nuage blanc, Journal. Wellington, août 2003 - janvier 2004, P.O.L, 2005, 208 p.

20 mars 2005
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