Christian Garcin & Patrick Devresse | Mini-fictions, 13. Toujours plus loin

Convaincu de l’extraordinaire vanité, comme de l’inutilité finale, de toutes les tentatives de balisages du monde connu, il décida de consacrer son temps non àrépertorier l’immensité du savoir comme tant d’autres l’avaient fait avant lui, mais àtenter de cataloguer l’infiniment plus vaste immensité du non-savoir. Il commença par écarter de son champ d’investigation la mystique, jugée trop obscure, la liturgie, trop glorificatrice, ainsi que la psychanalyse, trop fantasmatique ‒ après quoi il se dit qu’il lui restait par exemple le vol chaloupé des martinets, la forme aléatoire des flocons de neige, les lents mouvements des aïs dans les forêts humides, la danse des phalènes certains soirs d’été, et le hasard mêlé de nécessité qui gouvernait les existences. C’était un bon début. Il s’attela donc avec confiance et non sans une certaine exaltation àcette tâche, qu’il estimait àsa portée, mais qui lui apparut assez vite plus ardue que prévu ‒ puis colossale, puis parfaitement irréalisable ; si bien qu’il renonça àsa tentative de catalogage du non-savoir et choisit de rester derrière sa fenêtre àobserver les nuages, grâce àquoi il pourrait peut-être, espérait-il, trouver un autre champ d’investigation. Cependant il dut bien vite déchanter : l’infinie variété du ciel étant parfaitement connue, répertoriée, cataloguée depuis des millénaires, y déceler une once d’inconnu était aussi fastidieux qu’illusoire. Ainsi finit-il par se recroqueviller lentement au fond de lui-même, convaincu cette fois de trouver dans les profondeurs des souvenirs la clé primordiale du non-savoir en remontant plus loin, toujours plus loin, jusqu’au noir initial.