Clamart retrouve « la Joie par les livres »
Réouverture de la bibliothèque pour enfants après accord entre la mairie et le ministère.
Lire l’article d’Ange-Dominique BOUZET dans Libération de ce 17 février. [1]
Ci-après, les éléments de la mobilisation qui s’est donc avérée payante, et on ne peut que s’en réjouir.
La bibliothèque de Clamart, modèle d’architecture et de pédagogie, est menacée de disparition.
Signez vite la pétition aux côtés de ceux qui sont bien décidés à ne pas laisser faire une tel gâchis.
Francine Deroudille.
Jour sans Joie à Clamart
La joie par les livres à Clamart, c’est terminé : la bibliothèque pour enfants, au nom si emblématique, cessera ses activités samedi prochain. Une fermeture imposée par le ministère de la Culture, qui prend de court les familles de la ZEP et sème la stupeur dans les réseaux du livre pour enfants.
La fermeture d’une bibliothèque de banlieue, par les temps qui courent, c’est malvenu. Mais « Clamart » ! Tout un symbole. Cette petite bibliothèque pilote est née il y a quarante ans de l’acoquinement d’une dame de la haute avec un mouvement architectural lié à la mouvance communiste et une équipe de bibliothécaires motivées. Anne Schlumberger, mécène désireuse de créer une expérience culturelle modèle en plein coeur populaire du « petit » Clamart, impulse l’association La Joie par les livres, en 1963, pour monter une bibliothèque dont elle confie la réalisation à Gérard Turnauer, architecte membre de l’atelier de Montrouge. Il édifie, au milieu des immeubles en brique de la cité de la Plaine, un petit édifice de plain-pied, dont les trois salles de lecture, rondes et intimes, lambrissées de bois clair, s’enroulent en volutes à l’abri d’un jardin planté d’un ginkgo biloba.
Pour Geneviève Patte, directrice d’alors, l’accompagnement des enfants, dont les familles sont parfois analphabètes, vise à les amener au sens de la qualité : « On responsabilisait les enfants, ils tenaient eux-mêmes le bureau de prêt. » Parallèlement, les bibliothécaires, raconte-t-elle, faisaient du porte-à-porte, « avec les paniers de livres, pour toucher les parents ».
L’expérience retentit à travers le monde. Les petits lecteurs de Clamart, photographiés par Martine Frank, feront la une de Life. La bibliothèque sera visitée par l’impératrice du Japon. Geneviève Patte, à la retraite, continue encore d’être appelée, de l’Amérique latine à l’Europe centrale, pour essaimer le modèle de La Joie par les livres.
À la mort d’Anne Schlumberger, financière initiale, la réputation de l’institution est telle qu’en 1972 l’État va s’impliquer : il récupère la charge du fonctionnement de l’association, la municipalité de Clamart assumant l’entretien du bâtiment. Avec le temps, les activités se sont élargies : la collecte et l’analyse des livres ont engendré des revues et un centre de documentation qui se ramifie à Paris, et s’installe boulevard de Strasbourg.
De nouveaux équilibrages budgétaires se sont instaurés. Pas au profit des enfants de la Cité de la Plaine. La bibliothèque, qui eut jadis jusqu’à quatorze bibliothécaires, n’en a plus que deux à plein temps, payées par la municipalité.. D’après une note d’Olivier Ponsoye, trésorier de l’association, sur un budget total de 2,9 millions d’euros en 2005, la somme attribuée à la bibliothèque aura seulement été de 60 253 euros. Montant dévolu à ses achats de livres : 50 euros.
Seul le Centre du boulevard de Strasbourg continue à intéresser le ministère de la Culture. À la Direction du livre et de la lecture, on justifie la fermeture de Clamart par « des problèmes de sécurité ». Cette « petite antenne associative » de banlieue, « qui a été modèle en son temps et qui fonctionne d’ailleurs encore bien », ne justifierait plus de toute façon d’un financement national.
Philippe Kaltenbach, le maire PS de Clamart, dénonce une décision « scandaleuse pour les habitants comme pour la politique du livre pour enfants ». Le retrait financier de l’Etat n’a fait, souligne-t-il, l’objet « d’aucun concertation » et ne devait, en tout état de cause, pas intervenir avant la fin 2006, la municipalité ayant planifié pour cette date l’installation d’une médiathèque susceptible de prendre le relais. « La sécurité n’est qu’un prétexte, la raison est purement financière », tonne le maire.
Mépris des usagers et récupération cynique des livres de la bibliothèque initiale par l’État. Préférence accordées, d’autre part, aux « grandes » médiathèques polyvalentes. Tout s’unit contre cette petite structure de proximité, s’adressant à des enfants dont les parents ne vont pas eux-mêmes en bibliothèque. Une bibliothèque « maison », dont Gallimard s’apprête cependant à célébrer l’aventure par la sortie, en avril, de deux livres mémoires !
Le quartier se mobilise : une pétition circule, lancée par le collectif « Que vive nos cités », qui regroupe une dizaine d’associations locales (parents d’élève, familles maghrébines, familles congolaises, Attac 92, etc.). « Ici, les mamans avaient confiance, elles laissaient les petits venir seuls, c’est sous leur fenêtre, sans rue à traverser », plaidait mercredi, à la bibliothèque, une mère de petit lecteurs du Haut-Clamart. « Quelqu’un a dit qu’il fallait nettoyer les banlieues, lançait un des parents. Ça commence par les bibliothèques ? »
Ange-Dominique Bouzet.
Libération©
[1] On pourra également lire l’article en version pdf