Corinne Lovera Vitali | l’apparadis
Corinne Lovera Vitali s’appelle clv et tout ou presque de son travail se trouve sur son site et son site et son site. Elle a publié récemment absence des cowboys chez Ripopée (avec des dessins de Stéphane Korvin), Monsieur Rabbit chez Libr-Critique, trive pour le dernier numéro de D’ici là, Fronce à la maison, et à l’instant apnée aux Éditions Contre-mur.
je me brosse les dents en écoutant non en entendant la radio comme chaque soir dans la salle de bains où je suis Freud moi-même qui est né le même jour de mai que moi je lui ai écrit un petit poème à la nuit je le recopierai ici après que j’aurai fini ce texte-ci je me brosse les dents en pensant à Suzanne et à son dentier il lui change le sourire il lui en donne un presque méchant je préférerais qu’elle ne sourie plus ce n’est pas elle autour de ces dents blanches toutes équivalentes ceci était une autre joie de revoir hier Heaven’s Gate pendant trois heures et trente-six minutes leurs dents à tous même les très jeunes sont jaunies et inégales puis le maquillage de leurs blessures et celui de leur vieillissement se voient comme les maquillages se voient et les morts surtout y respirent encore on peut se concentrer sur leur poitrine et lorsqu’elle se soulève on a un peu de joie j’étais joyeuse hier soir de voir Heaven’s Gate ça m’a duré toute la journée où bien avant la salle de bains j’étais Freud moi-même dans l’attention dite flottante qui me prend lorsque par chance aucune anxiété ne m’occupe Freud moi-même je vois le sourire de Suzanne en me disant que jamais je ne porterai un appareil et au moment exact où je me prononce le mot appareil dans la bouche en brossant mes dents jaunies et inégales et même manquantes Roland Barthes lui-même prononce dans le poste le mot appareil dans une phrase qui ne concerne pas les dents mais le mot littérature qui a été kidnappé par l’appareil institutionnel Roland Barthes aurait voulu l’en sortir comme moi le dentier de la bouche de Suzanne c’était là une parfaite petite freuderie nocturne malheureusement un éditeur commente immédiatement notre lapsus à Barthes et Freud nous-mêmes en précisant que la vraie littérature doit être [citation en latin à rechercher] càd qu’elle doit être singulière mais parler à tout le monde il ne dit pas qu’elle doit parler à tout le monde pour que tout le monde l’achète il se met à brandir et à agiter la pensée de Roland Barthes dans ma salle de bains mais si tu n’as pas fait de latin laisse tomber maintenant que j’ai fait 60 kilomètres pour voir dans sa vraie version cette chose magnifique qui n’a jamais parlé à tout le monde je laisse tomber très vite même Roland Barthes qui est pourtant toujours aussi froidement séduisant avec sa voix des années de Cimino et quand je me demande ce qu’ils ont tous avec ce mot singulier qui est brandi et est agité à tout bout de champ pour une chose-éloge et son contraire-plainte tandis que Cimino qui dit lui-même être un cinéaste-écrivain et a été empêché de faire ses films d’avoir fait La Porte du Paradis qui a été et continue d’être porte de l’enfer pour qui est pauvre là-bas comme ici Cimino continue de dire qu’on peut vous empêcher de faire des films mais pas d’écrire et je me souviens de la scène où lorsque Ella lui demande Pourquoi ? Nate lui répond Il n’y a pas de raison à tout
voici mon petit poème maintenant il s’appelle source de vie analphabète et je vous remercie bien de le lire :
j’ai presque tout oublié heureusement
sauf les rêves qui ne peuvent se dire d’aucune façon et c’est un grand bonheur
on voit le jour mais c’est la nuit qu’on voit
aussi suis-je reconnaissante à la nuit
à sa source de vie analphabète
et à Freud aussi
d’avoir été là dans la nuit où rien ne se dit
tout t’arrive en bourrasque
puis c’est à toi d’arriver
corinne lovera vitali
septembre 2015
1er octobre 2015