Étonnants voyageurs :
littérature hors les remparts

 

[FB] Aujourd'hui, chronique à deux voix, pourquoi pas ? c'est qu'on a quand même trinqué au Pouilly blanc dans le Saint-Malo nocturne - donc, en italiques, c'est François Bon, et le romain c'est Dominique Hasselmann - témoignages très directs de l'unique Étonnants Voyageurs, unique par l'ambiance, le goût d'ailleurs, les fortes têtes qu'on y croise, qui vous fait brusquement tomber dans la petite rue derrière le festival sur Le Clézio en pleine discute avec Alain Borer (lequel y a reçu le prix Joseph-Kessel pour "Koba" : moi, Joseph Kessel, je l'ai croisé pour de vrai à l'âge de 8 ans, et ça a beaucoup contribué à mon choix de vie, bien plus tard). Borer prix Kessel remis par Le Clézio, oui, une cohérence. Et sur les stands, aussi bien l'ami Didier Daeninckx que l'ami François Place, et, évidemment, pas moyen alors de dire à Dominique Hasselmann qui a disparu on ne sait où de faire la photo-souvenir... Un festival, après tout, c'est d'abord à ça que ça sert, le temps qu'on perd avec les copains. Et toujours la magie de la vieille ville corsaire, toutes mouettes présentes...

[DH] Le 14ème Festival international du livre “Etonnants Voyageurs”, du 7 au 9 juin 2003 à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), portait un titre ouvert sur le grand large : “Désir d’Europe”, selon l’expression de son directeur Michel Le Bris. Quelques images attrapées au vol, choisies parmi d’autres.

Samedi 7 juin, 18 h. Martèlements syncopés venus d’Amérique dans le “Magic Mirror”, une tente dressée comme le temple des tours de passe-passe, où les glaces renvoient l’image d’entrelacs bleus et roses sur des colonnes chantournées.
Il s’agit de la Tribu des Kiowas, peuple nomade ayant quitté le nord des Etats-Unis (près de la rivière Yellowstone) pour se diriger vers le sud, en Oklahoma. Et c’est l’écrivain américain d’origine indienne Norman Scott Momaday (prix Pulitzer 1969) qui nous raconte l’ancienne légende qu’il a entendue de la bouche de son père : “Les enfants du soleil” (éditions du Seuil, mai 2003), illustré magnifiquement par Federica Matta, la fille du peintre surréaliste, présente elle-même avec la traductrice Danièle Laruelle. Norman Scott Momaday est professeur à l’Université de l’Arizona. Un écrivain qui ressemble physiquement à Hemingway et qui rythme sa parole comme le son des tambours de guerre.

[FB] Ça avait drôlement commencé, le festival. Le train des auteurs et journalistes bloqué à Montparnasse, retardé d'au moins 5 heures, la locomotive séquestrée par les cheminots en grève. Du coup, on avait des huîtres en rab. Discours de M. Aillagon, qui parle de la librairie, des écrivains, de l'Europe et de la décentralisation (bel exercice, sans prononcer le mot). Puis discours de Michel Le Bris, et M. Aillagon, qui devait s'ennuyer un peu, découvre la présence de Michel-Edouard Leclerc, sponsor du festival (il offrait le chapiteau). A la surprise ébahie de tout le monde, M. Aillagon reprend le micro et se livre à un éloge de M. Leclerc, l'entreprise, le mécène, le mécène, l'entrepreneur, l'entreprise, aussi long que ce qu'il avait dit avant sur tout le monde : mine catastrophée de ses suiveurs, des gens de la cutlure officielle, apparemment il est le seul, le ministre, à ne se rendre compte de rien. Terne naïveté. Après tout, pense-t-on là-haut, Michel-Edouard Leclerc est aussi libraire, non ? On ne sait pas si Chateaubriand emmène les sponsors dans son sillage ou si simplement il tourne le dos, dégoûté, à l'emblème épicier devenu l'idéal raffarinien de M. Aillagon, lequel à Beaubourg nous avait pourtant habitué à mieux (il y a longtemps, tellement longtemps)...

[FB] Dehors , les manifestants, enseignants et intermittents, manif bretonne et bon enfant: la preuve. Dix minutes plus tard, charge des CRS, gaz lacrymogènes. Victimes : des petites filles habillées fête pour les mariages qui se succédaient, ce samedi midi, à la mairie de Saint-Malo. Caricatural. Triste. Michel Le Bris entre rage et écrasement. Moi je les ai croisées, les petites filles en robes de fête, le visage blême et les yeux exorbités à cause des gaz, tandis qu'on leur faisait chemin vers les sanitaires de la mairie, ou au moins on avait de l'eau pour les soulager... N'empêche qu'ensuite quelque demi-poète aigrie (pour régler ses comptes personnels avec l'édition ?) nous interpellait en tant qu'invités du festival, qu'il nous aurait fallu traiter d'"enculeture", excusez du peu (madame cite pourtant Char à tout va), faute de quoi nous étions à ses yeux de nouveaux casseurs de grève : non merci la caricature... Le combat des enseignants et des intermittents mérite d'autres alliés... Regardez-les, les ennemis de la patrie, et comme ils paraissent si dangereux, qu'il fallait les écraser si vite sous les lacrymogènes pour les enlever de la vue du ministre... La photo ci-dessous donc à l'attention de Sam Dilorio ou autres amis japonais ou américains qui ne cessent de nous demander "ce qui se passe en France"...

[DH] Dimanche 8 juin, 11h. “Sur la trace des Celtes” (en fait, nos ancêtres les Gaulois !) documentaire de Marc Jampolsky (production Gédéon), qui sera diffusé sur Arte en octobre 2003. Une “tranchée” archéologique creusée le long de la future voie du TGV Paris-Nancy a permis d’exhumer des nécropoles celtes, semblables à celles que l’on retrouve ailleurs en Europe, en Italie, en Hongrie ou en Roumanie. Beauté des bijoux torsadés, précision des armes décorées, des fourreaux ouvragés qui aiguisaient en permanence le fil du glaive... Paysages de l’est de la France aux tréfonds historiques insoupçonnés et bientôt recouverts par les parallèles de fer d’un train à grande vitesse.

Dimanche 8 juin, 15h. Michel Le Bris, dont a été réédité le “Journal du romantisme” (1981, Skira) sous le titre “Le Défi romantique” (Flammarion, avril 2002), revu et augmenté, est remplacé au pied-levé par Gérard Oberlé dans “Les Réserves Surcouf”, caves ayant servi de prison durant la Révolution française.

Gérard Oberlé a passé dix années de sa vie à étudier les “Poètes néo-latins du XIème au XXème siècle”, ceux qui écrivaient dans la langue de Ciceron et parcouraient l’Europe avant la lettre. Sa faconde, son sens de l’anecdote (il a été prof de latin-grec), nous font voyager de Rome à Constantinople, de Paris à Venise. Il a publié, entre autres, une correspondance avec l’écrivain Jim Harrison et envoie un billet d'humeur non conformiste, chaque jeudi, sur “France Musiques” dont il vient de rassembler un florilège dans “La vie est un tango” (Flammarion, avril 2003).

[FB] Moi pendant ce temps-là un moment d'exception: dans l'étage de la vieille tour des Moulins, dans un angle des fortifications médiévales de l'hôtel de ville, je suis l'invité d'Yvon le Men pour présenter et lire le Quart-Livre de Rabelais. Des amis dans la salle, une acoustique favorable, et la magie de faire entendre à Saint-Malo un livre qui a été en partie écrit ici, puisque Rabelais en 1548 s'est invité quatre mois chez le pilote de Jacques Cartier, Jamet Brayer. Il y a aussi le café littéraire, qui peut connaître des moments de marée haute et grand large , comme ici avec l'espagnol Montalban (photo de gauche), ou des moments plus maussades, en tout cas c'est que j'ai ressenti quand j'ai dû passer sur la scène, après moult décalages horaires, tant pis... Tour des Moulins, Yvon Le Men conitnuait en recevant Jacques Lacarrière, Jacques Darras, et lisait lui-même Rajko Djuric...

[DH] A l’extérieur de tous ces lieux d’exposés, de débats, de spectacles, le vent marin souffle dans les oriflammes des sponsors du festival. Le ciel est dégagé. La mer est bien toujours recommencée : et la littérature s’élance hardiment hors les remparts.
Dominique Hasselmann, 12 juin 2003.

les liens pour continuer
http://www.etonnants-voyageurs.net/
http://ecrivainsmontana.free.fr/ (rubrique bibliographie)
http://www.crl-bourgogne.org/ressour/oberle.htm
sur Marc Jampolsky, cinéaste:
http://www.diplomatie.fr/culture/France/cinema/documentaires/archeo/film16.html
http://www.cooperation.gouv.fr/culture/France/cinema/documentaires/archeo/film17.html
ou sur l'archéologie celtique: http://www.arbre-celtique.com/

sur Scott Momaday: http://www.english.uiuc.edu/maps/poets/m_r/momaday/momaday.htm
Le Clézio par Maulpoix: http://www.maulpoix.net/clezio.html
Yvon Le Men par François Bon : http://www.remue.net/cont/ylemen.html
sur Rajko Djuric: http://balkans.eu.org/article.php3?id_article=1783

un petit post-scriptum à deux voix ? pour moi ce serait la tombe de Chateaubriand, en fin d'après-midi sur le Grand bé découvert : téléphone portable, bronzette des mollets et chaussures de ville, la tombe blanchie des déjections de mouettes, qu'est-ce qu'il en penserait, notre grand Romantique, de son lieu de repos, face à la mer (photo FB) ? - mais il suffit de revenir au coucher de soleil, et c'est l'image qu'il doit s'en faire, lui, dessous, une fois que la marée montante l'a rendu à son silence... (photo DH: un petit coup de souris sur la photo pour intervertir les photographes!)

et les enfants, pendant ce temps? pas de problème, entre Magic Mirror, les pirates racontés par François Place, l'expo Solotareff, les films ou la mer... le grand succès d'Étonnants Voyageurs, c'est qu'ils se sentent parfaitement à l'aise, les enfants: merci, Michel Le Bris, Yvon Le Men et toute l'équipe des organisateurs, nous à remue.net, c'est aussi à ça qu'on juge et qu'on apprécie! FB / DH

 
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