Dans le balbutiement du futur
La poésie telle qu’elle est reçue, ou plutôt éconduite, égarée, perdue de vue, me suffit et me comble. Elle n’est pas, et refuse d’être, un genre littéraire, un produit culturel, une marchandise éditoriale. Elle est, par bonheur, déficitaire dans les calculs de marketing. Elle est irrécupérable par l’ordinateur de la diffusion et la herse médiatique. Elle n’a pas de rayonnement au sens où vous l’entendez car elle a renoncé, depuis le premier jour, à l’éclat public, pour l’irradiation dans le corps obscur, la déflagration invisible et les transmutations souterraines. Elle est écriture vivante, écorchée — ou non-écriture en activité dans le sous-sol de la langue — ou projection du désir et des mots de chaque jour dans le balbutiement du futur. Donc absente, donc absente du marché — et c’est là le vrai sens de votre question...
Jacques Dupin, Éclisse, éditions spectres familiers, Marseille, 1992 [1].
[1] Première publication dans la revue Le Débat n°54, mars-avril 1989. Il s’agissait de répondre à une enquête menée par cette revue sur L’absence de la poésie.