De l’hiver 2008 à l’hiver 2009, un arc de cinq journées

Antoine Emaz applique continûment son principe de poésie par notes journalières – par irruption dans l’écriture du réel rémanent après la journée ou dans la nuit sans sommeil, la matière du poème étant ce qui a filtré au travers du sable des fatigues, ce qui reste, une matière persistante, commune, sans convention poétique.
             Le titre, Poèmes pauvres, fait peut-être allusion à l’arte povera, ce mouvement d’artistes qui espéraient guerroyer contre les institutions et les marchés par la pauvreté des moyens et par l’attention portée aux processus de création plutôt qu’aux objets. Je crois que leur affirmation du commun reste.
             Poèmes pauvres nous donne cinq journées : le 9 novembre 2008, le 27 décembre 2008, le 19 janvier 2009, le 21 octobre 2009, le 6 décembre 2009 – un peu plus d’une année, d’un hiver à l’autre.
             La première séquence : les images d’un vieux film retrouvé de femmes marchant tournant le dos à une mine au Congo, portant seulement bassines et baluchons.
             La deuxième, un jardin en hiver vide sous la lumière intense et dure où reviennent les morts

figures de rien à peine contours
dans la lumière qui baisse

             La troisième, une crise cardiaque, « brusque fêlure de l’air », « un déchirement lent », « vide froid », le corps comme un tas de linge sale.
             La quatrième, pensées de vieillesse

les yeux
perdus parmi les ombres
elles se ressemblent toutes

             La cinquième, un deuil dans une maison vide.
             Dans cette construction, la perspective la plus large est instituée au commencement, dans la première séquence. Ce déportement en autre pays et autre époque qui à nouveau défile au présent, film tiré d’une boîte, est en quelque sorte une condition d’existence pour le poème entier comme pour nos vies.
             Le refus de s’apitoyer, la sécheresse, même, font place nette ; détails sonores, colorés, on entend et voit tout et dans le silence de la méditation rétrospective ramassée dans le poème, il n’importe plus de savoir de qui il s’agit – que ce soit de lui, d’elle, de nous ou de quiconque.


Laurent Grisel


Antoine Emaz, Poèmes pauvres, illustrations de Jean-Marc Scanreigh, collection voix de chants, Æncrages & Co, 2010. ISBN : 978-2-35439-034-1.

Antoine Emaz a publié Jours et Je ne aux éditions En Forêt. On trouve la plupart de ses œuvres chez Tarabuste. Au format livre de poche, Caisse claire dans la collection Point/ Le Seuil. On peut lire aussi des recueils de ses notes d’écriture, par exemple Cambouis publié à la fois dans la collection « Déplacements » au Seuil et chez Publie.net.
Remue.net rend compte régulièrement de ses ouvrages.

15 septembre 2011
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