Des opéras de lumière
Roman de Jean-Noël Blanc
Il suit les deux hommes à la trace. Du début à la fin. De leur enfance jusqu’à leur mort. L’un est né à Lyon et l’autre à Saint-Étienne. Trente ans les séparent. Ils n’appartiennent pas à la même classe sociale. Thiollier est issu d’un milieu aisé. Photographe estimé, à défaut de devenir le peintre qu’il envisageait d’être, il est littéralement subjugué quand il découvre, un peu par hasard, l’œuvre de Ravier. Il pense à Constable, à Turner, à Corot. « Une telle fougue dans les ciels, cela ne s’oublie pas ». Il lui écrit, va le voir là où il s’est retiré, à Morestel, au fond du Dauphiné, et n’aura, dès lors, de cesse de faire connaître ce peintre cabochard qui n’a pas plus envie d’exposer que de vendre et qui passe son temps à traquer les lumières du jour.
« Je continue à suivre ma folie – nous avons eu deux ou trois jours de vent du midi qui ont exaspéré ma palette – j’ai des fringales de ciel – c’est l’infini – je médite les drames de la lumière, j’essaie de piéger le fugitif, d’attraper le brouillard argenté – il y a des heures où personne n’a vu ce que j’ai vu. »
Thiollier, qui voyage beaucoup, allant de galeries en ateliers, nouant des liens avec de nombreux peintres, achetant au passage beaucoup d’œuvres, comprend très vite que Ravier, qui peint les ciels comme personne, n’a rien à envier aux impressionnistes. Il en est même l’un des précurseurs. Il convient de le faire savoir. Il ne va pas lésiner pour tenter d’y parvenir, en multipliant les contacts, en établissant et en publiant la première monographie du peintre dont il deviendra plus tard, après sa mort, l’exécuteur testamentaire.
« Il faut démarcher, trouver des clients. Non, clients n’est pas le mot approprié : l’affection et l’amitié demandent mieux qu’un négoce anonyme. Il n’alerte donc que ceux qui aimaient le vieux peintre : des acheteurs dignes de Ravier, dit-il. Il en connaît déjà suffisamment pour écouler des pièces. Il vend par lots : quinze, vingt, plus encore. »
Cela ne l’empêche pas de continuer à photographier. Sans autre ambition que de restituer ce qu’il voit : les paysages, les terres noires, les ciels tourmentés mais aussi la ville, les mines, les forges, les lieux industriels. Il est en train, mais ne le sait pas, et ne le saura jamais, de devenir l’un des pionniers et des maîtres de la photographie.
« Il ressemble à un Moïse sculpté par Michel-Ange, dit un flatteur. Thiollier secoue la tête quand on lui rapporte ce propos, quel imbécile a dit cette ânerie ? Moi, une statue ? A-t-on jamais vu une statue aller blaguer avec un fossoyeur comme je le fais au cimetière de la Tour-en-Jarez. »
Il devient aussi bourru que Ravier et aura, tout comme son ami, et comme tous les solitaires qui n’entendent pas se plier aux exigences de tel ou tel milieu, bien du mal à entrer dans la postérité. Jean-Noël Blanc, en s’attachant à leurs parcours, en les faisant revivre plus d’un siècle plus tard, leur rend, avec ce roman particulièrement prenant, dont l’édition est augmentée de nombreuses reproductions, un très bel hommage. Il leur redonne, tout simplement, la place qui devrait être la leur dans l’histoire de la peinture et de la photographie.
Jean-Noël Blanc : Des opéras de lumière, Ravier & Thiollier, roman, éditions Le Réalgar.