Dimitri Bortnikov | Cul au Styx

Cul au Styx


j’ai envie de faire le feu parfois… j’ai froid. je suis toujours malade ici. mes yeux coulent. je pleurniche comme une pleureuse licenciée, moi ! mais là - elle n’a plus de larmes. ni pour vous ni contre ! j’ai envie d’un feu vivant… mes yeux mes mains en ont envie. rester devant… regarder dans le feu. que d’autres arrivent, comme moi, ça me gêne pas, on a pas besoin de parler devant le feu. mais on n’apprend le vrai silence que sous les bombes, il paraît… les murs, tout s’écroule, crève, brait, se cabre, là – on a de la trouille magnifique à coudre l’oreille, la calpette est dans le cul !

Et chaque rue, qu’elle soit réelle ! chaque boutique ! arabes, chinois, noirs, Barbès, la Chapelle, toutes les Goutte d’or et taudis ! et faubourgs et cités ! et banlieues et ghettos ! et chaque hutte dedans ! réelle et pas googlique ! pas des cartes là. qu’à pieds. oui. à pieds à Babylone ! et je m’affole pas du tout. au contraire ! je flegmatise.

Je suis entré dans cette ville par le soupirail, oui. tout doucement, en rat, par la petite porte. et chaque ville, bourgade, village, bourg et faubourg, et les plus vrais des bourgs, patelins, chaque trou du cul a sa chatière ! chaque trou de souris a sa chatière comme chaque trou à sourire a ses ténèbres…

Voilà comment j’y suis venu… et même comme ça, une mouche peut provoquer l’avalanche. même un petit pet furtif ! hé ! et puis parfois un murmure contrebande l’ouragan sous ses ongles ! c’est comme ça, l’air de rien, en chute de neige on devient le scandale ! chute des pierres pour les grenouilles !

Même si le reste de ce siècle on a le jour de Saint Patrick – je viendrai en vermisseau, moi ! eh bien, invitez tous les Patricks et Patrickettes du monde – ça ne fait rien ! en serpent j’y passerai quand même… par la chatière plus petite que celle par laquelle une souris voit sa mort venir.


Chevilles ailées, je vais lentement, je descends dans la ville, en drapeau vaincu, tel drapeau du soir je flotte sur cette ville comme un tigre qui descend des montagnes dans la ville qui festoie.

Oui, je suis une île. devenue une. sans voiles, ni ports…et mer lisse, mer à marcher, mer aux âmes errantes…stille liben. je transe…

Ca fait combien de jours que t’as pas mangé, toi ? deux, je crois. alors tiens bon encore un jour. c’est les trois premiers qui comptent. les plus durs. jours à la gorge étroite. et après – on arrive vers l’immense chute d’eau, chut de l’âme et on tombe dans l’océan. on a plus faim. on flotte. et ce sont les visions qui arrivent. sirènes sourdes t’accueillent et se mettent à chanter tout doucement.

J’ai envie de mettre cette ville à sac. j’ai assez reculé. non, encore un jour… et puis et puis vous serez tous avec moi. je vous ferai tous sortir de la ville. je vais vous tous attirer vers mes steppes ! tous ! à l’ancienne ! à la balalaïka ! et là-bas, loin à perdre l’œil on va en finir ! oui. car, l’esprit mène dans le désert. ensuite je reviendrai vers tes remparts, Paris… seul, sans mon armée. je vais faire un tour du périf, et à pieds, sifflotant, clope au bec, à la Flavius Josèphe !

Mais avant - faut bien disposer mes troupes ! mes tribus ! et puis - propagande ! Babyl a raison ! tout est là ! le début ! tout est dans le nœud du commencement. mais qu’est-ce qu’il disait déjà ? ah oui ! dans la guerre de propagande celui qui dit la vérité – perd toujours. vainqueur est celui qui profère les mensonges ! les plus terribles de préférence ! c’est pour ça les Soviets ont perdu la guerre froide ! régime ne doit jamais ouvrir le poing ! le peuple c’est un moineau… si on serre trop le poing – on le tue… si on l’ouvre – peuple s’envole ! et les emmerdes arrivent au triple ! sa Majesté Tocqueville a tout vu ! et tout dit à travers le poing du roi, étant lui-même serré bien comme il faut ! c’était le temps où les rois se promenaient les moineaux dans les poches ! et puis à travers de celui du peuple – il a tout dit aussi, Tocqueville ! mais le peuple est sourd ! il serre trop le poing ! il tire trop sur la bête !

Alors… comment les disposer, mes armées ! voilà la chose ! comment ! mes tribus - face à ces bon aryens ! mes peuplades de la Volga ! troupes auxiliaires ! mes Kirghizes ! mes Kazakhs ! mes Tchouvaches ! et puis - l’élite de la steppe ! l’étoile polaire de ma steppe – les Tatars ! perles des perles ! y a aussi les Allemands ! boches du coin, Hans de la Volga ! puces des tapis de Catherine II ! pas sûre comme armée ! choucroute russe contre saucisse bavaroise ! choucroute nostalgique ! choucroute traitre ! la question – est-ce que c’est possible de vaincre sans avoir un traitre dans l’assiette… et pourtant - faut être trahi ! la sagesse est là. l’histoire nous le montre bien ! juste un peu ! un chouia de trahison ! mais faut tout prévoir ! pas la peine d’écarquiller les billes ! faut prévoir à l’œil fermé. c’est la magie ça. parler au traitre… vivre avec lui. être avec jusqu’au bout. jusqu’à ce que le dernier clou chasse le premier ! jusqu’au bout, quoi. pour que tout soit vu. accompli.

Les Kazakhs au centre alors. oui, je les mettrai au milieu ! ça va les débrider un peu ! l’aile gauche – les Mordves. tenaces comme poux de Verdun ! la crème de matons du Goulag – ceux-là ! sourds-muets en temps de paix , sinon – plus déchainés que trois rois en chaleur ! parfait ! l’aile droite – les Tchouvaches ! nains géants au jardin d’enfer ! ces gnomes ils valent chacun deux percherons en gaule ! puis – Tatars ! aryens de la Grande steppe ! mais archi-chut ! ceux-là, c’est clou de tout ! le clou caché dans ta botte, ma steppe ! ma Grande ! tu les prendras dans ta bouche, ma steppe. toi, aux yeux avides, couleur de glace de mars ! tu mettras bien la table ! la table immense ! de Samara aux monts d’Oural ! tu les cacheras jusqu’à ce qu’il s’installe, cet équilibre de sang qui ne demande qu’une goutte encore et. là – ils sortiront de la terre. en dents de dragons bien semées. mais avant je les planquerai, les Tatars. je les placerai sous un kourgane. je les connais bien, moi, ceux-là près de Samara… et Kouroumotch ! à trois cibiches à pied de l’aéroport ! rive gauche de la Volga… rive de la steppe. et la verdure là-bas… verdure ! les herbes hautes comme les églises ! et ce vert émeraude ! ce vert de steppe ! à rendre daltonien ! rivage qui chante ! grillons de steppe, sauterelles, abeilles et bordons ivres ! midi - rive calme. tant arrosé de sang… Tatars et Russes et tout.

Et puis – les Tatars ! c’est ça le clou de tout ! le clou caché à la tête d’or ! les Aryens de la steppe ! je les cacherai sous terre ! sous un Kourgane ! ils rongent les brides de leurs chevaux ! les tigres entre les cuisses ! et ça miaule de rage sous terre ! je vois comment ça se passera comme je vois mes grolles là ! ils s’attaqueront comme d’habitude aux plus petits ! aux plus faiblards ! tribus des Tchuvaches ! la chose c’est que les gnomes tiennent bon ! bandent tous en gros et tiennent ! bander - c’est dur, mais soutenir la gaule, ça – c’est l’exploit d’Hercule ! plus dur que de faire bosser honnêtement une blonde russe ! c’est vrai ! c’est plus facile de mettre un Hercule à la quenouille que de forcer une jolie femme à bosser dans le noir ! sans miroir ! mais qu’ils tiennent une heure ! tribu des nains ! s’accrochent ! les ongles de pieds dans la terre !

Dans une guerre la victoire vient caresser le visage de celui qui sait souffrir un quart d’heure de plus que son adversaire ! voilà la sagesse à broder sur les draps des vaincus ! à essuyer la sueur des vainqueurs…

Et là, au sommet d’équilibre parfait, sang contre sang, feux contre feux, gorge contre gorge, hourra contre hourra – déchaîner la magie. faire tomber cette dernière goutte qui renverse le calice de la guerre. cavalerie céleste cachée…qu’elle charge là !

Toutes les brigades, lourdes et légères ! dragons. hussards. cuirassiers. lanciers et cieux ! Dimaque de d’Alexandre le Grand ! les Alamans. les Scythes. au pas ! au trot. et au galop – sous Dimitri Chostakovitch ! dix mille cosaques en rut ! quelle charge ! trois mille chevaux- légers fiévreux à la moustache toute rabattue, modèle Borodino !

Et puis – lever la main, et la faire tomber. la ville est à vous ! juste pour trois jours ! ville jetée aux troupes tatares ! tous affamés ! lubriques comme des mongoliens ! ville à sac ! ville à feu et à sève ! à dégoûter les charognards ! toutes qui n’osaient jamais rêver de se marier – seront fécondées trois fois !

Je m’arrête tel funambule avant de tomber, funambule qui perd l’équilibre et – au moment de tomber – voit le boyau de ce monde, corde tendue mais à mort sur laquelle le monde danse. et c’est lent la chute… je vois la rue, je la regarde… chaque mouvement. fleurs et feuilles. gens qui passent. leur allure et vitesse… et motos, et enfants et pigeons… et tout ça à la même vitesse. je regarde comme la danse, comme le ballet. il y a une harmonie, un rythme… oui. je peux voir comment tout concorde, voir ce comment et le faire à mon tour, et entrer dans la danse pour ensuite en sortir, briser le ballet et tomber. et tout entraîner avec.

Me voilà retrouvé sur la montagne de la faim. deux jours sans bouffer… c’est rien encore ! mais ça vient… tel aveugle voit avec ses pieds – je sens une sorte de kourgane. je le sens bouger ! et pourtant très loin dans les steppes. et la steppe met la table ! comme toujours et je sens le kourgane se réveiller sous mes pieds ! ça gronde… c’est trente mille cavaliers, trente mille Russes et Tartares se réveillent ! enterrés avec leurs chevaux il y a six siècles ! tous en selle ! sabre à la main ! après la bataille de deux géants ! Timour-le Boiteux et Tokhtamych ! on jouait ici avec mon ami, Bossu ! les cranes sortaient parfois dans les ravins ! roulaient emportés par les eaux au printemps ! encore un peu et les cavaliers auraient pu sortir ! on les attendait tellement ! kourgane bougeait enceinte ! et non. l’hiver venait vite. et la steppe met la nappe blanche et c’est fini ! le temps des renards. des perdus dans les blizzards…




23 février 2015
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