Georgine Sand Miner & Amie lesbienne
102 Georgine Sand Miner [Edgar Lee Masters, traduction Général Instin]
Une belle-mère m’a chassée de la maison, m’emplissant d’aigreur.
Un coureur, paresseux et dilettante, a pris ma vertu.
Plusieurs années j’ai été sa maîtresse — personne ne savait.
J’ai appris de lui les ruses du parasite
grâce auxquelles je me suis débrouillée comme la puce sur le chien.
À chaque fois une « affaire très privée » pour les hommes.
Puis Daniel, le radical, m’a eue pendant des années. 101
Sa sœur déclara que j’étais sa maîtresse
et Daniel m’écrivit : « Mot infâme qui souille notre merveilleux amour ! »
Mais ma colère se lovait comme un serpent avant la morsure.
Mon amie lesbienne empira les choses. 102b
Elle détestait la sœur de Daniel.
Et Daniel méprisait son nabot de mari.
Elle vit l’occasion de décocher son poison :
je devais me plaindre à sa femme des gestes déplacés de Daniel.
Mais avant, je l’ai supplié de fuir avec moi à Londres.
« Pourquoi ne pas simplement rester ici ? » a-t-il demandé.
J’ai ravalé ma bile et me suis vengée de son refus
dans les bras de mon ami dilettante. Puis je suis repartie à l’attaque,
sortant la lettre que Daniel m’avait écrite
pour prouver que mon honneur était intact, la montrant à sa femme,
à mon amie lesbienne, à tout le monde.
Si seulement Daniel m’avait tuée !
Au lieu de percer tous mes mensonges jusqu’à ce que j’apparaisse nue,
une putain corps et âme !
102b Amie lesbienne de Georgine [Anne Mulpas]
Je suis sans nom, ravalée anonyme sous la terre.
Si ce n’est apaisée, calme. Enfin je crois.
Ravalée anonyme, engloutie en une autre.
Georgine. 102
Se souvient-elle de moi, la jolie chienne ?
Peut-elle m’exhumer ? Qui d’autre le ferait, ici ? Qui ?
Au-dessus de mon front, ciel moucheté à jamais.
Vermine voletant, nuées de jugements.
Sait-elle que si j’ai pu l’utiliser ce fut pour m’asservir,
m’attacher à mes tristes rancunes, ma misérable haine ?
Enfin je crois.
Ravalée anonyme, aigre Sappho commère d’une catin.
Les jours de pluie,
la terre électrise mes reins • je la crois revenante,
revenue me divertir comme autrefois.
Petite chienne du cirque Spoon River.
Mon reflet.
Ma laideur.
Je peux trembler encore, m’essouffler à vouloir
être vue.
Et lorsque la sécheresse peu à peu me reprend,
mes mains ne peuvent se joindre.
Je sais que rien, jamais, ne m’auréolera.
Qui, ici, prierait pour moi ? Qui ?
Ravalée anonyme, je m’arrange du silence.
C’est en lui que, seule, je m’imagine,
éternellement je m’épelle.
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