Gériatrie

Rendez-vous est pris une fois par semaine dans la salle de spectacle du service Gériatrie pour poursuivre le conte de Charles et Noé, une histoire (qui prend plus ou moins la forme d’une nouvelle) où voyage maritime, mémoire et transmission ont la part belle... La phrase proposée en amorce était la suivante : un enfant se retrouve comme par enchantement dans le corps de son grand-père.

Bretagne

Photographie : Simon Diard


EXTRAIT

AU LARGE DE SES RÊVES

1.
La Carte du ciel

Il y a bien longtemps vivait sur la côte bretonne un petit garçon de huit ans qui s’appelait Noé. Un petit bonhomme aux cheveux bouclés et blonds, intelligent et curieux de la vie. Il habitait avec son grand-père, Charles, une petite maison de pêcheur en granit, avec des volets bleus, entourée d’hortensias, pas très loin de la mer. Dans la cour devant la maison, il y avait un superbe banc, lui aussi en granit, que Charles avait fait lui-même et tout près de ce banc, un beau mimosa qui sentait si bon, le soir. Charles et le petit Noé aimaient s’y asseoir à la nuit tombée et bavarder tout en regardant les étoiles.

Un soir où le ciel était clair et dégagé, allumant sa pipe, Charles sortit sa petite longue-vue de son étui pour montrer à Noé les constellations et les principales étoiles. La Grande Ourse : on la reconnaît à sa forme de casserole. L’Etoile du Berger. Cassiopée : elle dessine un W dans le ciel. Le Dragon. Et l’Etoile Polaire : la plus brillante des étoiles de la constellation de la Petite Ourse, elle brille comme un diamant...

Noé l’écoutait avec enchantement. Tout ce que Charles disait, le petit Noé l’appréciait. Mais il aimait surtout que Charles lui raconte sa vie. Il était émerveillé par tout ce qu’il apprenait alors, en extase : "ah il était comme ça !"

Il faut savoir que Charles était un ancien capitaine. Toute sa vie, il avait voyagé sur les mers et vécu de nombreuses aventures. C’était un homme franc et imposant, un homme grand et fort, avec une épaisse barbe grise et les traits du visage travaillés, marqués par le sel de la mer.

« Tu te souviens de ton premier voyage, grand-père ? »

« Oh oui, il reste inoubliable ! C’était il y a longtemps, tu sais, mon gamin... Mes parents m’avaient prévenu des magnifiques découvertes qui m’attendaient. Et ils ne se sont pas trompés. J’avais quatorze ans et je me suis engagé comme mousse sur L’Aventure, un beau Trois-mâts qui partait de Saint-Malo pour apporter une cargaison de vin en Ecosse et en revenir avec du cachemire et du whisky. Il portait bien son nom, L’Aventure.

C’était aussi « mon aventure ». Mon rêve, naviguer en pleine mer, en faire mon métier... mon rêve, Noé, allait enfin se réaliser. L’équipage, composé de marins expérimentés, allait sans aucun doute m’apporter un peu de l’expérience tant désirée.

Mais pour le moment, nous chargions le vin à bord de L’Aventure. Les caisses me paraissaient très lourdes mais il fallait que je m’y fasse. Le capitaine Erwan n’aurait pas supporté que je me plaigne. Je savais qu’être mousse sur L’Aventure ne serait pas toujours facile. Tout l’équipage allait devoir respecter une certain discipline, comme être sur le pont chaque jour dès six heures du matin et se présenter au capitaine dans une tenue impeccable.

Une fois notre cargaison chargée, sur ordre du capitaine Erwan, chacun s’installa à son poste. Je crois que nous étions tous partagés entre l’excitation du voyage et la tristesse du départ. Restée à terre, sur le quai, la foule d’hommes, de femmes et d’enfants qui allaient devoir attendre un mari, un fils, un frère ou un père, nous acclamait. »

Noé buvait le récit de son grand-père et dans sa tête, il imaginait déjà qu’il ferait comme lui. Plus tard, il prendrait la mer comme lui. Tout en l’écoutant, Noé n’arrêtait pas de penser à tout ce qu’il lui avait déjà raconté. Il se voyait devenir un grand navigateur qui partirait loin et ferait de belles choses. Il se voyait devenir capitaine et voyager par beau temps comme par mer démontée.

6 mai 2012
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