Hommage à Maurice Nadeau
Sur le journal de tiers livre, lire Maurice Nadeau s’en va.
Extrait de la préface de Maurice Nadeau à Les jours de notre mort de David Rousset.
En 2002, Maurice Nadeau republie un texte écrit par lui en 1947, et depuis épuisé, sous le titre Sade, l’insurrection permanente, suivi de « Français, encore un effort si vous voulez être républicains », par D.A.F. de Sade. Voici la préface qu’il avait écrite pour cette republication aux éditions qui portent son nom « Maurice Nadeau. Les Lettres nouvelles ». Elle témoigne de son parcours d’éditeur et de son engagement pour la littérature. Elle est aussi un des fils qui composent l’histoire de l’édition dans la seconde moitié du XXe siècle.
C’est sur la proposition d’un éditeur que je publiai en 1947 une anthologie de Sade intitulée Œuvres. Le grand spécialiste de Sade, Maurice Heine, en avait publié une, de 1933 à 1935, par souscription, c’est-à-dire sous le manteau. La mienne s’adressait au public et, publiée par un éditeur ayant pignon sur rue, elle devait être vendue en librairie. Sade était loin d’être un inconnu et, au même moment, les exégètes, de Paulhan à Klossowski et Blanchot, n’étaient pas rares. Mais de quoi parlaient-ils ? D’une œuvre inédite, pour la plus grande partie clandestine et qu’à part certains lettrés personne n’était en mesure de lire.
Si les meilleurs esprits reconnaissaient à Sade la qualité d’écrivain, pourquoi était-il tenu sous le boisseau ? Alors qu’au même moment je formais un comité de défense d’Henry Miller, poursuivi pour « atteinte aux bonnes mœurs », il me sembla, en publiant au grand jour des extraits choisis de La Philosophie dans le boudoir, de Juliette ou des 120 Journées, prendre fait et cause pour un écrivain – fût-il mort depuis deux siècles – , et contre la censure.
Je pus me procurer, grâce à des libraires d’ « anciens » et à un éditeur clandestin, certains ouvrages de Sade publiés à « Amsterdam », en fait à Paris au XIXe siècle. Les autres, nulle autre perspective que de les copier à « l’Enfer » de la Bibliothèque Nationale, « Enfer » où je fus admis sur la recommandation de Pascal Pia. J’en profitai pour prendre connaissance du volumineux dossier composé par Maurice Heine. S’y trouvait, non rédigée mais ordonnée, chapitre par chapitre, une biographie du Divin Marquis, biographie qui a servi de guide aux biographes ultérieurs.
La lecture de Sade vous empaume. Par ses qualités d’une écriture propre au XVIIIe siècle, le plus intelligent de notre histoire, par les convictions philosophiques et « morales » d’un esprit dont l’audace n’a pas de limites, par le souvenir d’un homme qui triomphe insolemment de sa condition de victime. Mon « Exploration de Sade » a été écrite dans cette fascination. Elle est d’un homme jeune encore, dans une époque qui permettait des espoirs.
Aujourd’hui beaucoup des ouvrages de Sade se trouvent en format de poche après que des éditeurs comme Jean-Jacques Pauvert ont souffert les tracasseries d’une Justice toujours bien-pensante. En 1947 je n’avais eu, chez les libraires les moins timorés, que l’honneur du « second rayon », loin du regard des enfants. L’ouvrage disparut de la circulation, sans doute par des mesures de police, avant qu’un article l’eût signalé. Je n’ai jamais reçu de compte. Mes éditeurs n’existent plus.
Récemment, un catalogue de librairie signale la présence de cet ouvrage introuvable. Je me le fais envoyer. Je relis mon essai. Peu de personnes le connaissent, et pour cause. Je le crois digne d’être republié, plus de cinquante ans après.
Il précède un texte de Sade, « Français, encore un effort si vous voulez être républicains », qui ne me paraît pas hors de saison.