Il me semble : c’est moi qui tenais le harpon, par Miguel Aubouy
J’ai une mémoire exécrable pour les dates et les visages. Cela me joue mille tours dans la vie quotidienne, et surtout amoureuse. Je n’ai pas cette faculté de retenir le jour des rencontres, des anniversaires, des événements que je devrais connaître, et que j’identifie à cinq ans près, quand bien même je les aurais vécus dans ma chair. Je ne saurais donc pas dire quelle année j’ai connu remue.net pour la première fois. Quelque part entre 2002 et 2004. D’autres sauront me répondre, sans doute. Peu importe.
En revanche, j’ai ce souvenir assez précis d’une réunion d’assemblée générale (quelque part entre…), qui se tenait dans le jardin de la Maison des écrivains, où j’ai vu pour la première fois les visages de ceux dont j’avais vu passer les noms. Ils étaient François (Bon), Phil (De Jonckheere), José (Morel), [...], d’autres encore. Je ne connaissais personne. Je n’avais lu aucun texte publié des écrivains qui se trouvaient là. Je n’ai pas été coopté. J’ai juste eu envie de venir. Pour voir. Tous m’impressionnaient d’une manière ou d’une autre.
Je me souviens qu’au moment de me présenter, ce jour-là, j’ai mentionné un autre site de littérature, auquel j’appartenais, qui était médiocrement considéré sur remue : moment de gêne immense au moment où François a fait un commentaire assez péjoratif sur cette appartenance. Il s’en est fallu de peu que je parte.
À l’époque, je faisais de la recherche fondamentale en physique théorique. Autant dire que je ne venais pas de la même planète. En revanche, j’avais publié un roman. C’est pourquoi, il me semble : c’est moi qui tenais le harpon.
Il devait y avoir du vin en quantité. L’ivresse aidant (ou bien était-ce un sourire : il y en avait plus abondamment encore), j’ai levé la main lorsqu’on a demandé des volontaires pour faire partie du comité de rédaction. Voilà le premier geste. Mais évidemment, cela a commencé plus tard.
De mille manières différentes.
Il est difficile à celui qui vit hors du monde de ne pas rechercher les siens, écrivait Malraux. À côté de cette difficulté, nos bagarres n’étaient rien, et, je le crois : ne seront jamais rien.