Jacques Roubaud | Note sur Michel Couturier

Un beau livre. Belle couverture grise et rose.
C’est un livre de poésie. Il contient des poèmes. La plupart en vers. Quelques-uns en prose.
Pour en parler, comment faire ? Dire ce que disent ces poèmes ? Les commenter ?
La poésie dit ce qu’elle dit en le disant. Il ne faut pas le dire à sa place.
On peut expliquer, si nécessaire, comment c’est fait, des circonstances, certains mots.
Ici, à la radio, il faut faire entendre. Je vais lire deux courts poèmes, un en vers l’autre en prose.

p11

LE TROISIÈME JOUR

L’aube a roulé la pierre du tombeau
Les oiseaux commencent à tomber inaudibles
Comme des pierres noires sur ce pré ancien

Ils volent bas tels des obus de mortiers
Rouvrant d’anciennes blessures pulvérisant
Nos jours friables

Pour moi, Le troisième jour, c’est le mercredi. Dans la Genèse, la lumière nait le mercredi.

p103

LE JEU DE PAUME

C’est lorsque tu te baisses pour ramasser la balle que tu entends le bruit des raquettes et que tu vois la forme d’un corps qui s’étira sur l’herbe. Les coups sont assénés sur la nuque, aussi les herbes sont-elles rouges. Elles ont cette gravité et cette aisance dans les mouvements qui est la tienne. Les feuilles ont bien cette consistance opaque et granuleuse qu’on leur voit sur les photographies en noir et blanc. C’est dire que les bosquets peuvent s’ouvrir impunément et donner passage à un corps. Mettrais-tu l’oreille au sol, tu entendrais les battements réguliers des pas, couverts parfois par la distance ou un obstacle sonore. Les indices, diras-tu, sont maigres ; de crime il n’en est donné aucun. Le corps du délit passe alors de main en main : c’est lorsque tu saisis le sol. Lorsque tu ramasses cette petite absence creuse et douce, que tu entends le bruit des raquettes et le chiffon sur la vitre.

Ce poème est dédié au poète Claude Royet-Journoud.
La postface du livre est du poète Jean Daive.

Né en 1932, Michel Couturier est mon contemporain. Il est mort prématurément en 1987. Je l’ai rencontré deux, peut-être trois fois.
Pour devenir poète il est allé à Londres au début des années soixante du 20ème siècle. Il a travaillé à la BBC. A Londres, il s’est lié avec d’autres poètes, Claude Royet-Journoud, Anne-Marie Albiach, plus jeunes que lui. Il a participé à leur revue, Siècle à mains.
C’étaient les années Carnaby Street. C’est à Londres qu’il fallait être.
Plus tôt, d’autres poètes ont aussi été à Londres. Londres attire les Poètes. Verlaine et Rimbaud, Rimbaud et Germain Nouveau. En 1940, à la BBC aussi, Henri Thomas, Jean-Paul de Dadelsen.

La poésie est aussi pour l’œil. Comment faire voir ? Les vers, dans la page d’un poète, comment sont-ils ? Michel Couturier portait toujours des gants. J’imagine, imaginez qu’il n’enlevait pas ses gants pour taper ses poèmes à la machine à écrire. Et pour cette raison il devait écarter les mots dans la ligne, les lignes dans la page. Ce sont ces hiatus dans le vers et dans la page qui caractérisent, pour le regard, la poésie de Michel Couturier.
Le dernier vers de ce beau livre, publié avec émotion est : "ce terreau accordé reposant sur l’humus". C’est un alexandrin. Avec un hiatus.

 


Ce texte, portant sur la réédition de l’œuvre poétique complète de Michel Couturier, a été écrit et prononcé par Jacques Roubaud dans l’émission Boomerang (France Inter), dont il était l’invité le 19 avril 2016 à l’occasion de la parution de Poétique. Remarques (Jacques Roubaud, éditions du Seuil, 2016).

 Jacques Roubaud, Poétique. Remarques, Seuil, Paris 2016
 Michel Couturier, L’ablatif absolu, poésie complète, La tête et les cornes, Paris, 2016

24 avril 2016
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