Je le revois (François Fillon)
Tel un personnage de Modiano, j’ai dû consulter un vieil annuaire, à la recherche de possibles traces de l’occupant, dans les années soixante, d’une maison située non loin de Granville. La bibliothèque François Mitterrand possède une collection complète de « L’annuaire officiel des abonnés au téléphone », pour tous les départements de France, et depuis 1901. Les volumes sont déclarés « hors d’usage » et en consultation uniquement à titre exceptionnel. Cependant ils ont été microfilmés, et l’on peut obtenir les rouleaux celluloïds dans la salle X de la BNF, ce qui ne s’invente pas.
C’est donc là que que me suis retrouvé, signant les bordereaux nécessaires pour pouvoir consulter des annuaires de la Manche de 1965-70. Dans mon village de 300 habitants, dans ces années-là, seules deux personnes avaient le téléphone, des abonnés aux noms fleurant le bocage Normand intemporel : M. Chapdelaine, M. Esnouf.
On mesure le chemin parcouru par l’humanité en 50 ans. Aujourd’hui, un astronaute envoie directement sur tous les ordinateurs et smartphones du monde son selfie pris dans le vide intersidéral, près d’une station spatiale à 100 milliards de dollars, qui tourne à huit kilomètres par seconde au-dessus de nos têtes.
En 1968, il n’y avait que 2 abonnés au téléphone à la Rochelle-Normande, un peu plus au gros bourg du coin, Sartilly, où cependant il y avait une cabine téléphonique publique. Je n’ai pas pu résister à l’envie de prendre une photographie. Tel un espion photographiant subrepticement un document secret, j’ai sorti mon smartphone, justement, pour prendre un cliché du microfilm de l’annuaire de la Manche de 1968, où l’on trouve la petite annonce pour la cabine de téléphone de Sartilly :
Ouverte donc seulement de 9h à 12h et de 15h à 18h, le samedi matin également, mais fermée le dimanche. Voilà quels étaient les horaires pour accéder à un téléphone, à 3km de chez soi, en 1968, dans le bocage Normand. Aujourd’hui mes enfants passent leur temps sur leur téléphone, ils dorment avec, et je dois leur arracher le soir pour qu’il ne passe pas la nuit sous leur oreiller.
Méditant sur cette annonce, mes pensées se croisent avec l’anniversaire des dix ans de l’Iphone. Dix ans seulement, on se demande comment on faisait « avant ». Et le même jour, François Fillon se vante d’être à l’origine de l’internet français, du temps où il était ministre. Je le revois, effectivement, vers 1997, ministre de la Recherche, il était venu faire une conférence à Polytechnique où je travaillais, et je lui avais même serré la main.
La décision venait d’être prise de lancer la construction de la station spatiale, contre l’avis des chercheurs et de l’Académie des Sciences, décision politique pour un engin qui ne sert pratiquement à rien, les astronautes étant essentiellement occupés à faire le ménage et à entretenir la station pour ne pas y mourir. Quand ils ne sont pas occupés à nous envoyer des selfies à 100 milliards.