Kateb Yacine : Parce que c’est une femme, entretien et théâtre
Ce qui tue certains écrivains, chez nous, c’est qu’ils se font une idée aristocratique de ce qu’ils sont. Ils croient être des gens à part, qui vivent dans une tour d’ivoire ou en solitaires incompris, ou qui sont faits pour vivre dans une société qui les comprend, protégés par des mécènes et entourés d’une cour. Ce n’est pas possible, surtout à notre époque. Le monde entier est en révolution. Même un sourd ou un aveugle est oblige de le comprendre. Ce n’est pas possible d’en rester là. Beaucoup ici l’ont compris, je crois, depuis notre révolution. Ce peuple qui passe devant eux tous les jours et qu’ils ne remarquent même pas, c’est ce peuple qui l’a faite, la révolution. Ils ont tendance à l’oublier en permanence. Or ce peuple parle, ce peuple lit, ce peuple fait des trouvailles chaque jour et c’est lui qui fait la langue. Il faut revenir à une conception vivante de la culture. Le peuple est une force. Venir au peuple, ce n’est pas descendre, c’est monter.
L’entretien « Parce que c’est une femme », qui date de 1972, n’a rien perdu de sa force. El Hanar Benali, qui l’a conduit, explique dans l’Avant-propos de ce livre qu’il n’a pu alors être « diffusé en Algérie en raison de l’interdit qui frappait l’écrivain dans son propre pays, parce qu’il avait des idées considérées comme gênantes sur des sujets politiques qui étaient tabous à l’époque : les femmes, la langue et l’écriture de l’histoire ».
Il paraît aujourd’hui aux éditions Des Femmes en ouverture à trois pièces, éditées pour la première fois, qui évoquent des épisodes de la résistance menée par des femmes au cours de l’Histoire. La Kahina ou Dihya met en scène l’héroïne berbère qui, au VIIe siècle, résista aux Romains et au christianisme. Saout Ennissa, La voix des femmes, écrit en arabe dialectal algérien, se déroule pendant le siège de Tlemcen par la dynastie des Mérinides de Fez, au XIIIe siècle. Dans Louise Michel et la Nouvelle Calédonie, restée inachevée, Kateb Yacine, défenseur des langues et des littératures populaires, a inclus des passages en kanak.
Parce que c’est une femme est présenté par Zebeïda Chergui qui a également établi les textes de Boucherie de l’espérance (Le Seuil, 1999) et vient de publier chez le même éditeur, avec Amazigh Kateb, Kateb Yacine, un théâtre en trois langues.
Kateb Yacine est présent sur le Net. On peut y consulter sa biographie, entendre sa voix, lire des extraits de son roman Nedjma. On signale également un dossier sur son œuvre, sur la littérature algérienne et sur La renaissance de la culture algérienne.
Dominique Dussidour