L’Eau et les Rêves, Bachelard, 7

 La suprématie de l’eau douce. Le fleuve, malgré ses mille visages, reçoit une unique destinée ; sa source a la responsabilité et le mérite du cours entier. La force vient de la source. L’imagination ne tient guère compte des affluents. Elle veut qu’une géographie soit l’histoire d’un roi.

 Sensualisme de l’eau : besoin de toucher, de goûter, avant même de voir, d’entendre. L’eau douce est la véritable eau mythique (davantage que l’océan). Elle a maille à partir avec le ciel, par la pluie. Les signes précurseurs de la pluie éveillent une rêverie spéciale, une rêverie très végétale, qui vit vraiment le désir de la prairie vers la pluie bienfaisante. A certaines heures, l’être humain est une plante qui désire l’eau du ciel.

 L’eau des sources, d’essence féminine, trouvée par la baguette du sourcier (qu’on appelait au XVIIIe siècle verge de Jacob), dont le magnétisme est éminemment masculin.

 L’eau si douce qu’elle soigne et apaise les blessures, mieux encore que l’huile des onguents. "Un excès d’eau rend l’âme douce, affable, facile, sociable et disposée à plier." [1]

 L’eau violente ; elle est un élément où existe la peur : les premiers exercices de la nage sont l’occasion d’une peur surmontée, et donc d’un héroïsme. Une drogue, aussi ? "Je n’ai jamais pu être sur l’eau sans vouloir être dans l’eau" [2] : une sorte d’appel de l’élément. Le saut dans la mer du nageur novice ravive les échos d’une initiation dangereuse, hostile ; il est l’image exacte du saut dans l’inconnu. Et l’initiateur, qui rit, se moque ou félicite, c’est le père.

 Nage violente : il y a dans le rapport du nageur avec l’eau un rapport de combat. Cela inclut domination et soumission (Byron), sadisme et masochisme (Swinburne). Nage "molle" : "Mon être est rempli de vagues qui roulent et s’écroulent, ici et là, comme les choses qui n’ont pas de maître commun..." [3] : nage d’un homme qui ne provoque ni la mer, ni le monde.

 Thème rabâché de la colère de l’Océan. Les métaphores de la "mer mauvaise" sont légion (cf. Les Travailleurs de la Mer, V. Hugo). Souvent dans la littérature, les enfants maudits trouvent en l’Océan leur alter ego au diapason de la colère. L’enfant joue avec le flux et le reflux des vagues, il "commande aux flots", jette des cailloux à la face de la mer : c’est guerre pour guerre. Volonté de puissance.

 Animisme lié à la mer. Léviathan, crinière de lion, écume de cheval, etc. "La mer, l’échine resplendissante, est comme une vache terrassée que l’on marque au fer rouge." [4].

 L’eau des mers et des rivières stimule nos impulsions intimes, nos rêves de bottes de sept lieues : qui n’a pas rêvé qu’il sautait par-dessus une rivière avec un élan surhumain, héroïque ? C’est là le début de l’esprit d’aventure.



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4 septembre 2010
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[1Hermès Trismégiste

[2Swinburne

[3Coleridge

[4Partage de Midi, P. Claudel