L’Engendrement / Lionel Bourg
Inlassablement, Lionel Bourg poursuit sa quête autobiographique
Sans relâche, livre après livre, depuis près de trente ans, Lionel Bourg poursuit une quête autobiographique aux multiples ramifications. Il sait qu’approfondir le caractère individuel de sa démarche ne peut se réaliser sans chercher à comprendre son rapport aux autres, au collectif, à l’époque et à l’inévitable tissu social environnant.
L’Engendrement, qui paraît aux éditions Quidam, s’avère être une pièce essentielle du puzzle. Bourg, grand arpenteur de mémoires, y entreprend un retour en arrière rigoureux. Rendez-vous du côté des origines. Non pas en se collant le nez sur un acte de naissance mais en mettant tous ses sens en éveil pour savoir comment l’on naît, au fil du temps, à soi-même et aux autres.
« Chacun ignorait de quoi c’était fait un enfant. »
L’enfant, lui, apprend rapidement qu’il vient de plus loin que ses géniteurs et qu’il lui faudra, très vite, prendre de la distance (et son envol) s’il veut respirer à peu près normalement.
« Les pères, les mères, qui souvent s’avéraient maladroits, moins cruels que brutaux, ou veules, fatigués, ne se posaient pas tellement la question. Il y avait les gosses. Le travail. Une espèce de tendresse bourrue. Des cris. Des paires de claques. »
On ne s’aventure pas dans les méandres et les secrets de l’histoire familiale sans y laisser quelques plumes. Voire des regrets, des remords. Parfois même sa santé... Se frotter en permanence à une réalité douloureuse et intime, c’est ce à quoi s’attache Lionel Bourg. Peu importe les risques. A le lire, à le suivre dans ces pages âpres et prenantes, on perçoit aisément qu’il ne pourrait pas tenir autrement. Il s’agit de vivre debout et d’avancer, ensuite, du mieux possible. Pour cela, il lui faut explorer, repérer. Puis malaxer, modeler. Quitte à entrer dans des territoires où chaque rencontre avec l’être cher que l’on visite (ici, sa mère, en fin de vie) s’emplit de mots durs et calmes, mots secs et coupants, saisis entre amour et étripage, (“j’aurais mieux fait d’te faire passer par la pierre d’évier”) tous plus ou moins féroces et ininterrompus dans leur spirale excessive.
Il n’y a pas, dans L’Engendrement, de pathos ou de non-dits mais une douleur contenue et acceptée, celle d’un homme désemparé face à la maladie, aux exhortations et aux phrases folles jetées par celle qui lui a transmis bien plus que la vie.
« Elle lisait avec fougue. Pénétrée. Envoûtée. Prise, reprise par la langue, et si elle en tranchait, se moquant d’Henry Miller - “m’fait marrer, c’te grande gueule” ou rangeait dans le même panier Troyat, Guy des Cars, Gide et François Mauriac, c’est elle, pas un prof, pas un ami, qui me lançant comme on crache le Voyage à la figure - “tiens, lis ça, ça te plaira à toi”, j’avais quinze ans, m’initia péremptoire à l’oeuvre de Louis-Ferdinand Céline. »
Ces relations fortes et chaotiques ne se situent pas en huis clos dans une maison de santé mais s’enracinent, au contraire, dans un milieu social (ouvrier) et historique (le dernier demi-siècle) qui s’ouvre, reçoit, redonne... On décèle bien sûr en filigrane cette volonté de comprendre et cette générosité (transmettre, retrouver des liens, inventer des relais) présente dans tous les livres (récits, essais, carnets, poèmes et journaux) de celui qui poursuit - en l’amplifiant toujours un peu plus - une quête fascinante et tourmentée.
« Laisse-moi tout reprendre à zéro, tout dire et n’être à cet instant qu’un peu de toutes ces voix,
la tienne, la nôtre ou celle de ton père, des inconnus qui vont l’été sur le plateau, des vieux et des ancêtres que l’on invoque pour conjurer le sort, de ceux qui viennent, qui gisent dans ces phrases ou comme ces chiffonniers se battent à l’intérieur d’un livre qu’ils n’ouvriront pas. »