L’épique du psychisme | entretien avec Patrick Chamoiseau (2)
Fin de l’entretien du jeudi 28 février 2008 accordé par Patrick Chamoiseau à Chantal Anglade et à Jean-Luc Vilus– Fort- de-France, bureaux du GIP- FCIP (Groupe d’Intérêt Public - Formation Continue et Insertion Professionnelle) du Ministère de la Justice, 26 Rue Ernest Desproges.
lire la première partie de l’entretien
Patrick Chamoiseau : Voilà ! On a tout dit ! On n’a pas été très intime là ! Ha ! Ha ! Ha !
Chantal Anglade : Oui, on a du mal à vous faire parler !
P. Ch. : C’est très intime Un dimanche au cachot !
Ch. A. : C’est vraiment ce que je ressens…
P. Ch. : Une dimension de la littérature, indépendamment de la sincérité, c’est le côté impudique. On commence à écrire quand on a un sentiment d’impudeur.
Ch. A. : Et qu’est-ce qui est impudique ? Le fait de dire sa douleur ? le fait qu’il y ait des larmes ?
P.Ch : On se met… on est totalement donné, on se livre totalement, complètement nu…
Jean-Luc Vilus : On dit ses inquiétudes, …
P.Ch : Non, on est nu …
J-L.V. : On fait un don de soi ?
P. Ch : Dans la relation qu’on a avec un être vivant, il y a dix mille barrières et dix mille obscurités et dix mille protections. En littérature, il n’y en a aucune ; l’esprit est offert, total, sans aucune barrière, sauf la barrière de la composition. La composition elle-même est une impudeur.
Ch. A. : Vous dites que vous mettez des masques, que vous prenez des postures, mais par ailleurs vous les enlevez …
J-L.V. : Ce livre-là est très différent de Biblique des derniers gestes.
P.Ch : Oui, et non. Oui, c’est-à-dire que Biblique des derniers gestes est une sorte d’épique, c’est le passage du Rebelle au Guerrier : on a un rebelle, complètement déconstruit, qui, à la fin, commence à entrevoir ce qu’est un guerrier. Un dimanche au cachot serait plutôt un épique psychique, c’est-à-dire de reconstruction psychique, quelque chose que nous avons tous à faire, vu les libérations de tous nos moi et nos complexités identitaires contemporaines. L’épique est fondateur, toujours. Un épique psychique, ce serait un épique qui permettrait de repenser les modalités du psychisme humain confronté à l’impensable ou à l’inconcevable. L’impensable, ce peut être l’esclavage ou le monde actuel.
J-L.V. : L’état du monde vous préoccupe beaucoup.
P. Ch. : En littérature ou en art, on ne peut pas y échapper. L’énergie de la littérature aujourd’hui se trouve dans la complexité du monde. C’est vrai qu’à une époque la littérature pouvait être un baratin, des constructions narratives, des trucs, des machins … Mais aujourd’hui, la littérature s’est réfugiée dans le monde. Chez beaucoup d’écrivains contemporains, la narration prend trop le dessus. La porte est ouverte, on sait faire, on sait fabriquer des trucs ! On a connu des splendeurs narratives, et le problème, c’est qu’aujourd’hui il y a une sorte de littérature du XIXème siècle qui revient ! Or, la littérature ne raconte plus d’histoires. La littérature dit le monde aujourd’hui, c’est tout. Dire, ce n’est pas raconter. Le dimanche au cachot a eu peu d’articles dans la presse, il n’est pas facile à comprendre.