La Nada

"Nouvelles pour l’Espagnol" de Jean-Claude Tardif.


C’est bien àun livre de mémoire que nous convie Jean-Claude Tardif avec La Nada. Non pas directement la sienne mais celle qui se nourrit du collectif et qui a ses racines en Espagne, pays de son grand père Antonio Sorondo, républicain contraint de s’exiler en Bretagne et près duquel il a, durant de longues années, sut se tenir àl’écoute.

« C’est l’exécution de l’instituteur, sur la place, au petit jour, qui me fit partir. À genoux, les mains dans le dos. Une balle. La chute du corps sans bruit. L’écho de la détonation ronflait encore entre les maisons lorsque le visage de Don Severo Elso frappa le pavement de la place.  »

En six nouvelles, l’auteur retrace le parcours de quelques uns de ceux qui l’ont, d’une façon ou d’une autre, marqué. Il éclaire leur part d’ombre. Remet leur histoire en route àl’endroit même – àMadrid, àSéville, àBrunete – où elle a dà» s’arrêter ou bifurquer.

« Les yeux de Pilar étaient dans ma tête, vrillés comme deux balles sombres. Je portai la main àmon front et la ramenais, étonné de ne point la trouver rouge. Le fleuve était calme et noir, les étoiles s’y étaient noyées. Dans les jours qui suivirent, je revins souvent rôder dans les ruelles de la Juderia, mais jamais je ne trouvai le courage de franchir la porte. Je ne la revis jamais.  »

Ce sont ces moments brefs, ceux où une vie peut s’interrompre ou basculer, que Jean-Claude Tardif réactive àdistance. Il le fait en restant volontairement en retrait et en redonnant la parole àceux qui lui ont transmis les morceaux de leur propre itinéraire. En réalité ou par le biais des livres ou des faits relatés en famille ou entre amis. Ainsi l’histoire de Pilar, la danseuse. Ou celle de Gerda Taro, la photographe tuée en 1937, àla veille de ses vingt-sept ans, àqui François Maspéro a consacré un livre saisissant. Ou encore celle de Dona Lobos, exilée elle aussi sur les côtes bretonnes et àlaquelle le grand père aimait rendre visite. Pour parler des Asturies, làoù elle vivait auparavant.

La guerre civile est au centre de La Nada. Tardif l’évoque avec retenue. Ce qui ne l’empêche pas de viser juste. Son projet n’était pas de s’immerger dans un pays et une époque mais bien de montrer, des années et des générations plus tard, ce qu’il peut y avoir de douloureux chez ceux qui, sans avoir vécu ces heures tragiques, en sont néanmoins dépositaires.

« L’un après l’autre ils se sont couchés au hasard de la route, de la barricade ou du pavé, les yeux étonnés. Ils sont làet partout éparpillés le long de ma mémoire, de ma langue, du bleuté de mes veines.  »


Jean-Claude Tardif : La Nada, éditions Le Temps qu’il fait.

30 octobre 2009
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