La brûlure de La Soif
La semaine dernière, ce livre de poche (édité chez Babel, 6,50 euros) appelait l’attention sur une table de librairie, avec sa couverture jaune et noire, une photo de David Foldvari, tête nue peut-être de soldat, long cou, rares cheveux, des yeux en fente de tourelle de char.
Cette histoire se lit comme une rasade de vodka, elle est brûlante, elle est défigurante. Il en a été rendu compte lors de la sortie de La Soif chez Actes Sud, en 2004.
Une simple phrase (page 12) : « Quand on crame avec quelqu’un dans le même blindé, il vous vient après un tout autre regard sur bien des choses. »
Or, la Tchétchénie se rappelle soudain à nous, une fois encore, avec l’assassinat, samedi 7 octobre, en plein Moscou (dans l’ascenseur de son immeuble), de la journaliste Anna Politkovskaïa, qui s’apprêtait à publier un dossier sur la torture dans cette république sous emprise russe.
Mais, comme le remarque Lorraine Millot dans Libération du 9 octobre, le Premier ministre de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, vient juste de fêter ses trente ans le 5 octobre et a reçu, pour l’occasion, un magnifique cadeau motorisé (valeur : près de 400 000 euros) : « Rouler en Ferrari en Tchétchénie reste cependant peu recommandé, vu l’état des routes. »
La guerre se fait donc aussi contre l’information, celle qui se veut indépendante : Anna Politkovskaïa n’était pas « embedded » avec les troupes de Vladimir Poutine, elle était en civil, chez elle, et pensait sûrement que le crépitement d’un clavier peut se mesurer à celui d’une Kalachnikov. Combien d’autres journalistes libres ont-ils entendu ce bruit saccadé pour une dernière fois ?
Une autre phrase de La Soif (page 119) : « On roulait. Et je dessinais. J’avais même plus de plaisir à dessiner qu’à regarder à la fenêtre. Je voulais que le monde entier reste sur ma feuille. Pour quand je rentrerais chez moi. Parce que la télévision ne montrait pas ça du tout. J’avais compris brusquement que tout était radicalement différent. Les lignes, les couleurs, et même simplement la lumière. La lumière, bien sûr, c’était difficile de la rendre au crayon noir. »