La splendeur des sentiments, Valter Hugo Mãe
Le fils de mille hommes de Valter Hugo Mãe, traduit du portugais par Danielle Schramm, a paru aux éditions Métailié.
Il met en scène une poignée de personnages dont la société voudrait faire des parias, alors qu’ils sont, de fait, des hommes et des femmes libres.
Crisostomo, pêcheur de quarante ans, Camilo, élevé par son grand-père qui vient de mourir, Isaura, la femme laide, fille de Maria l’étrangère, Antonino, le fils efféminé de Matilde. Des êtres en marge, du moins aux yeux de leurs proches et de leurs voisins. C’est Crisostomo, dans sa maison aux murs bleus, sur la plage, qui réunira ceux qu’on montre du doigt, qu’on rejette, qu’on agresse, dont on se moque plus ou moins méchamment. Crisostomo qui, à quarante ans, se sentait « comme la moitié de quelque chose », trop seul pour goûter le bonheur d’être vivant.
Valter Hugo Mãe invente le récit initiatique de la maturité, et développe un discours amoureux peu courant. De courts chapitres dont les titres révèlent ce léger décalage avec le réalisme qui a fondé de grands textes (Don Quichotte pour citer un géant), — « le fils de quinze hommes », « la femme qui rapetissait », « une photo qu’on peut serrer dans ses bras », « la guérison de la moitié du cœur » — et un monde se déploie, nous subjugue par son intelligence et son sens de la beauté.
C’est ce mot-monde, « beauté », qui résume le mieux l’enjeu romanesque de l’auteur. Beauté opposée à petitesse, étroitesse, malveillance, médiocrité, venins et poisons assortis de clichés et de rappels à l’ordre, sous prétexte de rester dans la norme, déclinaisons plus ou moins allégées de toutes les dictatures de la pensée.
Selon Valter Hugo Mãe, chacun a droit à la beauté, et il est un devoir pour ceux qui la connaissent de la partager, de la transmettre. Ce serait presque une morale si le style, l’étrangeté des situations, la justesse des phrases — dont la simplicité souvent foudroie — ne faisaient du roman une aventure de lecture envoûtante. S’il y a morale, c’est donc au sens philosophique du terme qu’il faut l’entendre.
Camilo enfant, orphelin de mère, posait toutes sortes de questions à son grand-père, et « ce que le vieil homme voulait surtout faire comprendre à son petit-fils, c’était la splendeur des sentiments ».
Au cours des épeuves, des résistances, des aléas que les personnages rencontrent, se forge une certitude, c’est qu’il n’est nul destin oppressant qui ne puisse être renversé, nul jugement qui ne puisse être réévalué. À chacun de regarder l’autre avec des yeux neufs. Roman qui si’nscrit à l’envers de nos vies accélérées où nos idées sont la plupart du temps aussi hâtives que nos mouvements précipités. Roman de l’observation, du silence, du questionnement. Roman de l’étonnement, de la curiosité, du désir de comprendre. Roman où la solidarité s’oppose à la bêtise, la recherche du meilleur à la nostalgie des faux paradis perdus, l’humour à la mesquinerie, le courage à la veulerie. Roman de l’épreuve de soi, de l’inquiétude, du tourment, mais aussi de l’espoir, de la confiance.
Des mots et des motifs que la littérature souvent dédaigne et qui sont portés ici avec grâce, avec autorité.
Valter Hugo Mãe croit en deux nécessités vitales, la liberté de penser et celle de s’épanouir. C’est affaire d’ouverture d’esprit, d’intelligence du cœur, mais aussi de luttes du faible contre les forts, du singulier contre la masse. Ainsi Antonino dont l’homosexualité manque lui coûter la vie, si bien que Matilde, sa mère, enferme son fils dans la maison. « C’était comme si elle cherchait à enfermer le désir de son fils dans l’espace de la chambre. Jusqu’à ce qu’il se réduise à la dimension de son lit ; jusqu’à ce qu’il se réduise à la dimension de sa poitrine, jusqu’à ce qu’il se réduise à la dimension de sa honte. Jusqu’à ce qu’il disparaisse. »
Il est d’autres manières de faire et de penser, et le roman est un merveilleux outil pour le prouver lorsqu’il invente un univers dont la magie et la poésie transportent les lecteurs à un haut degré de beauté. C’est chose faite, pari tenu.